Éventailliste: un artisan d’art au savoir-faire méconnu

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  • Publication publiée :2 août 2020
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L’éventail, tel un phénix, et après des décennies de sommeil, renaît aujourd’hui grâce à une nouvelle génération d’artisans d’art qui allient une imagination sans limites à un savoir-faire ancestral hérité d’artisans aussi talentueux qu’eux. Ces éventaillistes, aussi rares que passionnés, travaillent à la restauration de ces témoins aussi délicats que gracieux d’un art disparu, ou créent des accessoires aussi inattendus que précieux. Ils sont les dignes héritiers d’un art millénaire, tout en restant résolument tournés vers la création d’une nouvelle histoire à venir de l’éventail.

Les différentes parties d’un éventail.
@ Maryse Volet, Éventails. Collection du Musée d’art et d’histoire de Genève, Genève, Clairefontaine, 1987.

Les origines de l’éventail

Replacer l’éventail dans l’histoire du monde, c’est remonter à la nuit des temps. S’il fut en Europe, et durant des siècles, un accessoire à la mode dont les femmes ne purent se dispenser, il se cantonne, sous sa forme primitive, à des feuilles de palme que les premiers hommes agitent lors de journées chaudes, ou dont ils se servent pour éloigner les insectes ou attiser le feu.

Les premiers éventails, dits “en forme d’écran”, auraient été adoptés par la Chine 3000 ans avant notre ère. Les plus anciens ont été découverts dans les tombes égyptiennes.

Symbole de pouvoir et d’influence, souvent en or, orné de pierres précieuses et de plumes d’autruches, décoré de scènes de combat ou de la vie quotidienne, l’éventail fait partie de la tenue vestimentaire du pharaon et de la famille royale. Dans l’Égypte ancienne, le titre de porteur d’éventail, accordé par le roi au dirigeant de l’armée le plus méritant, est considéré comme une des plus hautes distinctions, et signifie aux yeux de la société la relation proche entretenue par l’officier et le pharaon.

Éventail retrouvé dans la tombe de Toutankhamon; Exposition Paris La Villette 2019

En Orient, l’éventail comme élément essentiel de l’art de vivre et de la culture

Durant le premier millénaire avant Jésus- Christ, la Chine invente l’éventail brisé, dont les lames, mobiles, sont reliées par des rubans ou du fil.

Les japonais, quant à eux, sont à l’origine des éventails qui se replient. Inventé vers le neuvième siècle avant notre ère, l’éventail plié sera introduit en Chine autour de 960. Les artisans chinois amélioreront alors le procédé en insérant les brins entre deux feuilles contre collées, dans le but de les rendre invisibles.

L’éventail devient alors symbole de résurrection, marque du rang social, tout en déterminant le degré de pouvoir de son propriétaire. Au XVIème siècle, il est porté par les samouraïs, les professeurs et tous les hauts dignitaires.

Objet indissociable des rites traditionnels de Chine et du Japon, utilisé à la fois par les hommes et les femmes, il est un accessoire réservé à la Cour, fondamental dans le théâtre japonais ainsi que dans la danse traditionnelle.

Loin de la représentation que l’on a aujourd’hui de l’attribut de mode et de séduction, le Japon féodal utilise des éventails de guerre sur les champs de bataille comme outils de signalisation ou comme arme.

Uchiwa : éventail de fer, porté par les officiers de haut-rang et utilisé pour se protéger des flèches, et pour envoyer des signaux aux troupes.
https://shinryu.fr/1465-eventails-de-guerre.html

Tessen : éventails pliants avec des rayons externes en fer pouvant être utilisés comme matraque. 
https://shinryu.fr/1465-eventails-de-guerre.html

En Europe, une histoire qui débute à la Renaissance

A la Cour de France, il est fait mention de l’usage de l’éventail à partir du XIVème siècle: les uns circulaires, les autres en forme de drapeau (tel que celui représenté par Véronèse dans les mains de la déesse de l’Amour vers 1580), ce sont des accessoires de mode, mais également de symbole sociétal d’un haut statut.

Venus et Adonis ; Véronèse. Musée national du Prado

Ainsi, la reine d’Angleterre, Elizabeth Première (1533-1603) est- elle représentée à plusieurs reprises tenant en main un éventail fixe dont elle possédait toute une collection.

Elisabeth 1ere

Ces éventails fixes seront utilisés jusqu’à la fin du XVIème siècle, avant d’être remplacés par des éventails pliables. ces derniers n’atteindront les côtes de l’Europe qu’à la Renaissance, rapportés par les portugais en même temps que les cargaisons de porcelaines, de soies et d’épices. Dès lors, les marchands italiens vont les copier et en faire commerce.

Les cours italiennes les adoptent et Catherine de Médicis les introduira en France, les hissant au rang d’accessoire de mode indispensable à la gente féminine.

C’est à cette époque également que l’éventail, tout en se démocratisant, se transforme en support d’expression pour les artistes qui vont en agrémenter la feuille de sujets floraux, de représentations de scènes bibliques ou mythologiques.

La partie de cartes, éventail plié vers 1690-1700.
Monture en bois laqué.
http://cercledeleventail.fr

A la fin du XVIIème siècle, afin de protéger les secrets de fabrication et de réunir les métiers concourant à la fabrication des éventails (tabletiers, doreurs sur cuir, gantiers et plisseurs) naît en France la compagnie des “Maîtres éventaillistes, faiseurs et compositeurs d’éventails“. Cette communauté imposera son savoir- faire au siècle suivant, faisant de Paris la capitale de l’éventail.

XVIIIème et XIXème siècle, de l’âge d’or au déclin

Le mouvement artistique baroque qui se déploie dans toute l’Europe à partir du milieu du XVIème siècle et durant deux siècles va toucher tous les arts, et influencer par conséquent le travail des éventaillistes.

L’Enfance, d’après Nicolas Lancret, vers 1740 – 1750
© Coutau-Bégarie / Drouot

Puis, au cours du XVIIIème siècle, les thèmes de décor des éventails vont évoluer, passant de scènes historiques ou mythologiques à des scènes pastorales et bucoliques, et même des évènements d’actualité comme l’envol de la première montgolfière.


Eventail avec deux montgolfières, Rijksmuseum ; Amsterdam

Marie- Antoinette transforme l’éventail, jusque là accessoire d’étiquette à la Cour, en objet de mode que les femmes coordonneront à leur tenues. De petit tableau portatif et pliable, l’éventail se métamorphose en objet de luxe composé de matériaux rares: ivoire, nacre, corne, bois, os, … Ses feuilles sont en vélin, en peau, en soie, mais également en dentelle, plumes et autres tissus précieux, brodés, pailletés ou chenillés. Objet d’ornement, accessoire de pouvoir et de séduction, il ne se refuse aucune coquetterie et symbolise à la fois le charme et le raffinement, grâce au savoir- faire d’artisans qui rivalisent d’imagination pour créer des pièces d’exception.

Musée de l’éventail Hervé Hoguet; Paris

La Révolution française marque le déclin de l’industrie de l’éventail et à la fin du XIXème siècle, seules les Maisons Alexandre et Duvelleroy continuent de fabriquer des pièces de qualité.

Il faudra attendre la seconde moitié du XIXème siècle et la découverte de nouveaux procédés d’impression pour que l’éventail reprenne sa place dans la garde- robe féminine. Il deviendra alors plus accessible financièrement, mais la qualité de l’accessoire sera moindre, même si certains ateliers créent encore des modèles uniques pour les plus riches.  

C’est à cette époque que la maison Duvelleroy à Londres, à l’instar d’experts du siècle précédent, fait paraître un fascicule intitulé “Le langage de l’éventail“, qui répertorie un langage aussi élaboré que codifié, transformant l’accessoire de mode en moyen de communiquer et de séduire. Ce “lexique” sera par la suite traduit en français.

La sauvegarde d’un patrimoine

Au XXème siècle, l’engouement pour l’éventail connaît un bref rebond:

De petite taille, ses feuilles en soie sont décorées de scènes d’amour. La monture, en bois d’arbres fruitiers, permet de réduire le coût de fabrication. C’est ainsi que les éventails publicitaires ont commencé à faire leur apparition, les hôtels de luxe, les théâtres, les cabarets entre autres voyant en eux un support de communication original.

Cette mode prendra définitivement fin lors de la Première Guerre Mondiale, l’éventail passant alors d’accessoire usuel à objet de collection.

Cependant, en 1960, Hervé Hoguet rachète le fond de la maison Kees, l’une des plus prestigieuses maisons d’éventails du XIXe siècle, réunissant les deux métiers nécessaires à la création d’un éventail :  le tabletier, qui prépare les bois d’éventail dans l’Oise, et l’éventailliste qui, en travaillant les feuilles, les habille et les décore à Paris.

Sa fille, Anne Hoguet, est restée durant plus de trente ans la dernière éventailliste de France. Elle ouvre en 1993 le Musée de l’éventail, collabore avec l’Opéra, le théâtre, le cinéma et la Haute Couture, tout en effectuant des travaux de restauration pour la France entière.

Eventail, Anne Hoguet

Au XXIème siècle, la transformation de l’éventail en objet d’art

Aujourd’hui, le métier d’éventailliste est inscrit à l’Inventaire National du Patrimoine Culturel Immatériel, et accessible par le biais de stages auprès de Maîtres d’art.

Si la communauté des éventaillistes français se compte sur les doigts d’une main, la spécificité de leur travail, la diversité et la beauté de leurs créations méritent d’être connus, tout comme leur nom:

Anne Hoguet, Maître d’Art 1993, dont il a été question précédemment.

Sylvain Le Guen, éventailliste tabletier, Maître d’Art 2015

Olivia Oberlin, éventailliste et styliste de formation

Frédéric Gay, plasticien éventailliste

Martine Hacquart, éventailliste tabletier

Yolaine Voltz, restauratrice d’éventails

Du Ha Gwen
Sylvain le Guen
Olivia Oberlin
Frédéric Gay
Martine Hacquart
Restauration monture
Yolaine Voltz

Si à l’origine les éventaillistes travaillaient principalement la feuille, ceux de notre siècle savent également réaliser la monture, assembler les papiers, les peaux, la soie, la dentelle, les plumes, …

Qu’ils réalisent, geste après geste, et avec un savoir- faire remarquable des pièces d’exception, ou qu’ils restaurent avec amour un patrimoine unique laissé par leurs prédécesseurs, ces magiciens du XXIème siècle possèdent dans tous les cas une connaissance profonde des matériaux ainsi que des techniques utilisées à travers l’Histoire.

Artistes aux mille talents, ils sont dessinateurs, peintres, brodeurs, … Ils maîtrisent le travail de la nacre, celui des moules à plisser et du papier. Ils travaillent pour le cabaret, la Haute Couture ou la Cour de Grande- Bretagne.

Grâce à leur savoir- faire d’exception, ils revisitent l’éventail. Ils innovent en créant des formes inattendues et en utilisant des matières étonnantes comme les paillettes, le cuir, les cristaux et d’autres matières plus inattendues comme les fils de plastique.

Enfin, ils ouvrent le champ des possibles en s’associant avec d’autres artistes (peintres, graveurs, plumassiers, dentellières, bijoutiers, …), afin de magnifier l’accessoire en devenir, dans un défi de réinvention de cet accessoire millénaire.

Eventail Scoubidou en fil plastique et et fil de cassette audio, Duvelleroy.

Je tiens à remercier particulièrement Monsieur Sylvain Le Guen pour son accueil, et la relecture bienveillante et avisée de cet article.

Sylvain Le Guen, Maître tabletier- éventailliste
créateur d’éventails contemporain

Pour aller plus loin:

 Fiche d’inventaire du Patrimoine Culturel Immatériel

Métiers d’art, l’excellence française. Hélène Farnault, éd du Chêne

L’ami de Pezenas, Juin 2016

Musée de l’éventail ; 2 Bd de Strasbourg, Paris

https://shinryu.fr

anne.hoguet.fr

www.sylvainleguen.com

olivia-oberlin.com

www.fredericymgay.com

atelierdeleventail.eu

www.lutizephyr.fr

eventail-duvelleroy.fr

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