FACTEUR…. D’ACCORDÉON

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  • Publication publiée :29 avril 2022

Souvent associé à l’image de la liesse populaire et du bal musette, l’accordéon, par ses sonorités et ses rythmes, accompagne pourtant nombre d’autres danses d’un bout à l’autre de la planète : valse, boléro, passo doble, tango, java, … Réduit durant des décennies à la place d’instrument roi des dancings et des guinguettes, son image s’est imperceptiblement modifiée au fil du temps. Le « piano à bretelles » est ainsi aujourd’hui reconnu par tous les genres musicaux comme un instrument aux multiples possibilités, gagnant par là même ses lettres de noblesse dans le monde de la musique.

Guinguette. Jean Delanoy. 1959

De lointaines origines

Celui que l’on appelle parfois « piano des pauvres » est né au début du XIXème siècle.

Cependant, cet instrument à vent à anche libre compte de lointains précurseurs : le cheng, glorieux ancêtre chinois en particulier, existerait depuis le troisième millénaire avant notre ère. Son invention, attribuée à l’empereur Nya Kwa, serait à l’imitation de l’oiseau Phénix qui renaît toujours de ses cendres. Formé d’une calebasse autour de laquelle des tuyaux de bambou de différentes longueurs étaient fixés, il s’agit d’une sorte d’orgue à bouche qui pouvait, avec un peu d’imagination, effectivement évoquer un oiseau aux ailes repliées.

Au temps de Confucius, d’étranges pouvoirs étaient conférés au cheng et à ce titre, il dirigeait d’autres instruments lors des cérémonies religieuses. On le retrouve ailleurs en Asie sous d’autres noms : Sompoto sur l’île de Bornéo, Khène au Laos, Sho au Japon, Kuyen en Birmanie, Kaen en Thaïlande.

Cheng

L’Europe découvre cet instrument au XVIIème siècle. Ainsi, Un Khène est inventorié dans la collection du royaume du Danemark dès 1674, un Sheng à la cour de Russie en 1740 et deux exemplaires arrivent à Paris en 1777.

Un instrument en perpétuelle évolution

Mais l’accordéon en tant que tel naît en 1829, année où le fabricant d’orgues et de pianos viennois Cyrill Demian dépose un brevet pour l’accordion, rapidement rebaptisé accordéon. À l’époque, cet accordéon diatonique ne possède que 5 touches, qui produisent des sons différents suivant la manière d’actionner le soufflet. La main gauche, simplement dédiée à la gestion de ce dernier, ne joue pas.

Cyrill Demian et son accordéon

Hasard de l’histoire, Charles Wheatstone, fils d’un marchand de musique, génie scientifique londonien reconnu pour ses recherches sur les domaines de la lumière, de l’électricité et de l’optique, dépose à son tour, quelques semaines plus tard, une demande de brevet pour un symphonion à soufflets qu’il baptisera Concertina en 1833.

Ces inventeurs seront à l’origine de deux lignées d’accordéons : pour Cyril Demian l’instrument populaire ; pour Charles Wheatstone, l’harmonéon, accordéon de concert, longtemps considéré comme « noble ».

Concertina inventé par Charles Wheatstone

D’améliorations en innovations, il faudra attendre la fin du XIXème siècle pour que des facteurs italiens inventent à Castelfidardo un système consistant à placer sur le même support deux anches identiques donnant le même son, supprimant ainsi le handicap du « tirer-pousser ». Dès lors, le clavier main gauche peut se développer, donnant naissance à l’accordéon chromatique.  Permettant de jouer les 12 notes de la gamme chromatique sur plusieurs octaves, le clavier main droite permet de développer la mélodie et le clavier main gauche l’accompagnement. Il est souvent utilisé pour jouer de la musique latine, classique, de musette, de variété ou de jazz.

Accordéon chromatique Anches et soufflets https://www.anchesetsoufflet.fr/

L’accordéon diatonique est quant à lui un instrument bisonore. On le retrouve surtout dans les musiques folks et traditionnelles de l’Europe de l’ouest, ainsi que dans les chants de marins.

Accordéon diatonique Bernard Loffet https://www.atelierloffet.com/

Au tournant du XXème siècle et à force d’évolutions techniques, l’accordéon entame une dernière mutation, avec la mise au point en Italie de l’accordéon chromatique proposant un modèle de clavier à trois rangées. Puis en 1911, le concertiste italien Giovanni Gagliardi crée un clavier à cinq rangées qui offre l’avantage de pouvoir transposer les sons dans tous les tons sans modification de doigté.

Giovanni Gagliardi

L’accordéon, « piano du pauvre »

Le dernier quart du XIXème siècle voit arriver en France la première grande vague d’émigrés italiens venant renforcer la main d’œuvre dans le pays. Cet élan induit l’ouverture des premiers ateliers de facture d’accordéons, l’instrument devenant le symbole de l’immigration : les italiens apportent leur accordéon dans leur valise et l’intègrent dans des musiques et de nouvelles danses comme la valse musette, la polka, la mazurka, la java, le tango ou le pasodoble.

Après la première guerre mondiale, l’usage de l’accordéon se développe à la faveur de la mode des bals musettes. Pourtant, si l’on a tendance à associer depuis l’instrument aux fêtes populaires et autres flonflons du 14 juillet, l’accordéon se faufile depuis son invention dans bien d’autres genres musicaux : musique traditionnelle et folklorique, rock, jazz, pop mais aussi nouvelle chanson française, musique classique et contemporaine.

Vincent Peirani en concert au D’Jazz Nevers Festival (Nièvre), le 12 novembre 2018. Photographie Maxim François

Dans les années 1930, le jazz imprègne durablement les meilleurs accordéonistes et tient un rôle non négligeable dans la rénovation du répertoire, en particulier par le contact avec les guitaristes tziganes. Vingt ans plus tard, il investit la java. On le retrouve également dans les orchestres de Léo Ferré, Michel Legrand ou Edith Piaf.

En 1966, c’est avec un accordéon électronique, alors instrument tout à fait nouveau, que fut enregistrée la musique du mythique film « Un homme et une femme » de Claude Lelouch. De grandes stars comme Guy Béart, Juliette Gréco, Pierre Perret ou Georges Moustaki se feront accompagner par cet instrument.

Mais dans les années 1970 l’accordéon tombe en désuétude. Il entame alors une traversée du désert qui durera une dizaine d’années, avant de renaître au tournant des années 1980 : Jacques Higelin, Renaud, Claude Nougaro ou Juliette le réhabilitent, en s’associant à de grands noms de l’accordéon comme Richard Galliano, Marc Berthoumieux ou Marcel Azzola.

Marcel Azzola

L’accordéon aujourd’hui… et demain

Instrument complet, l’accordéon est capable de jouer tous les styles. Des musiciens contemporains ne s’y sont pas trompé et nous réjouissent avec des répertoires qui marquent le début du XXIème siècle. Citons pour exemple Yann Tiersen, compositeur de la bande originale du film de Jean-Pierre Jeunet Le fabuleux destin d’Amélie Poulain (César de la meilleure musique de film 2002) ou Vincent Peirani. Cet accordéoniste, clarinettiste et compositeur a totalement renouvelé le langage de l’accordéon depuis une décennie. S’il se consacre essentiellement au jazz contemporain, il explore également de nouveaux univers, se tournant autant vers la musique classique que vers le trash métal.

Ce renouveau du répertoire de l’accordéon est la preuve s’il en fallait, que l’on n’a pas fini d’entendre parler de l’instrument auquel tant de célébrités ont rendu hommage, à l’image de Jacques Brel accompagné par l’inséparable Marcel Azzola (Vesoul) ou de Brassens et son « Vieux Léon ».

Y’a tout à l’heure, quinze ans de malheur
Mon vieux Léon
Que tu es parti au paradis de l’accordéon
Parti bon train voir si le bastringue et la java
Avaient gardé droit de cité chez Jéhovah…

Un instrument complexe

L’accordéon est un instrument de musique à vent de la famille des bois. Il est composé d’un soufflet qui fait vibrer des anches métalliques qu’on libère en appuyant sur les touches d’un clavier, cette double action produisant le son. L’accordéon peut être bi-sonore (diatonique) ou uni-sonore (chromatique) selon que l’on pousse ou tire le soufflet.

Accordéon/ Schéma

On désigne sous le terme d’anche la lamelle de métal ou autre matériau, fixée par une de ses extrémités et mobile par l’autre qui, par sa seule élasticité, est capable de produire des vibrations sous la pression d’un courant d’air.

Anche d’accordéon

Les deux anches sont fixées sur un porte-anches, lui-même solidaire du sommier.

Le sommier, est une pièce généralement en bois qui supporte les tuyaux alimentant les anches en air. En contact direct avec le soufflet, ces tuyaux fournissent la colonne d’air nécessaire à la production du son. Ils sont fixés sur la table d’harmonie, elle-même solidaire de la carrosserie réalisée par deux ensembles reliés par le soufflet.

Schéma de sommier d’accordéon avec anches https://www.wikiwand.com/fr/Accord%C3%A9on_diatonique

Le soufflet est la pièce centrale de l’accordéon. Il a pour utilité de fournir le vent qui va venir faire vibrer les anches.  Il relie les deux caisses (main gauche et main droite) auxquelles il est généralement fixé par des clous. Il comporte un nombre variable de plis en carton renforcés en divers endroits, car son étanchéité est évidemment primordiale pour un fonctionnement optimal.

Enfin, le soufflet constitue un élément décoratif de l’instrument, les pans de carton étant souvent peints ou recouverts d’un motif.

Outre ces pièces maîtresses, l’accordéon se compose également d’une centaine d’autres éléments indispensables comme des ressorts, des soupapes et des éléments décoratifs qui en font un instrument unique, à l’image du musicien qui, assis ou debout, déploie et referme dans un geste singulier l’éventail de son soufflet.

Soufflet d’accordéon/ Miguel Gramontain https://www.miguelgramontain.com/

Une mécanique précise

Le fonctionnement de l’accordéon repose sur un système de leviers agissant sur des soupapes, maintenues en position fermée par un ressort.Selon le sens d’action du soufflet, l’air est soit aspiré, soit expiré par les ouvertures, provoquant la vibration des anches. Si le principe de fonctionnement est relativement simple pour les accordéons à une ou deux rangées, le mécanisme se complexifie pour les accordéons à trois rangées ou plus.

Schéma du mécanisme main droite d’un accordéon diatonique

Le facteur d’accordéon

L’accordéon apparaît donc comme un instrument tout en complexité constitué de 2000 à 8000 pièces réalisées à partir de différentes matières : métal, bois, cuir, feutre, liège, carton et même matières plastiques…

En découle une méthode traditionnelle de fabrication qui demande un savoir-faire inouï, maîtrisé par quelques rares artisans. En France, ils restent en effet une cinquantaine à se consacrer à la fabrication d’instruments « sur mesure » ou de pièces uniques grâce à un savoir-faire qui se transme, de maître à apprenti, depuis le XIXe siècle. Ambassadeurs du « Patrimoine Vivant » qui distingue des entreprises et des savoir-faire industriels et artisanaux d’excellence, ils portent haut leur art, répondant entre autres aux demandes spéciales des accordéonistes pour lesquels ils fabriquent des instruments répondant exactement à leurs besoins.

Quelques outils du facteur d’accordéon https://www.miguelgramontain.com/

Si les facteurs d’accordéon réalisent et assemblent des accordéons, ils réparent et restaurent également des instruments anciens. Cette activité nécessite un extraordinaire savoir-faire, car rendre son lustre et son potentiel à un accordéon nécessite à la fois réflexion, travail de recherche et multiples tâtonnements.

Une fabrication artisanale

La fabrication d’un accordéon requière patience et minutie et demande plus de cent heures de travail. En effet l’assemblage des très nombreuses pièces constituant l’instrument représente un véritable défi technique nécessitant de la part de l’artisan des compétences ne laissant place à aucune approximation.

L’essence de bois constituant la caisse est d’abord sélectionnée avec soin en fonction de ses propriétés. Puis, les planches sont sablées et assemblées pour former la structure de l’accordéon. Ces caisses ainsi façonnées sont recouvertes de plusieurs couches de vernis, minutieusement appliquées les unes après les autres.

La fabrication du clavier nécessite quant à lui l’élaboration et l’assemblage de diverses éléments comme des broches, boutons, clapets, … Ces derniers, constitués de pièces de bois, de cuir et de feutre collées les unes aux autres, doivent être ajustés pour éviter les fuites d’air.

Boutons d’accordéon https://www.atelierloffet.com/

 

Le carton dont est fait le soufflet, à la fois souple et résistant, est généralement importé d’Italie. L’artisan va découper ce matériau de manière à former, une fois replié, une pièce rectangulaire. Plus tard, un losange de cuir sera collé dans chaque coin inférieur des plis pour assurer l’étanchéité du soufflet. Pour la même raison, les coins extérieurs seront eux aussi solidifiés à l’aide de pièces métalliques et d’un ruban couvrant l’ensemble de l’assemblage. Enfin, le facteur d’accordéon fixe les deux extrémités du soufflet à un cadre de bois conçu pour s’ajuster au boîtier.

Vient ensuite la fabrication de l’intérieur de l’instrument. Cette étape est déterminante, car c’est de cet espace qu’émerge la qualité du son. Le facteur d’accordéon va ainsi apposer les anches sur le sommier, afin qu’elles vibrent au contact de l’air : celles de grande dimension produiront un son grave, alors que celui émis par les plus petites sera aigu.

Au cœur de l’accordéon https://www.miguelgramontain.com/

Une fois l’assemblage des différentes pièces achevé, la dernière étape s’attache au réglage des mécanismes servant à accorder l’instrument, grâce à une manœuvre de limage de la lame en fonction de la fréquence et donc de la note recherchée. Ce moment requiert une grande minutie ainsi qu’une oreille musicale d’une finesse remarquable. Et l’on peut parier qu’en raison de l’évolution des matériels utilisés dans la facture instrumentale, le son et l’acoustique des accordéons conventionnels de demain promettent de devenir encore plus raffinés.

Atelier d’assemblage https://www.atelierloffet.com/

Ainsi, minutie, patience, et savoir-faire caractérisent le métier de facteur d’accordéon. Au service d’artistes dont ces artisans atypiques comprennent la musique, ils excellent non seulement dans la fabrication des instruments, mais également dans leur restauration, allant jusqu’à inventer l’outil singulier qui permettra de redonner à l’accordéon ses qualités initiales. Inventifs, ingénieux et innovants, les facteurs d’accordéon perpétuent depuis près de deux siècles une tradition, tout en composant avec des matériaux modernes, pour un résultat acoustique au service de notre plus grand bonheur.

Accordéon modèle “Jig” https://www.anchesetsoufflet.fr/

Pour aller plus loin:

Histoires de l’accordéon. François Billard-Didier Roussin/ CLIMATS-INA/1991

Un grand merci à l’Atelier Loffet, à “Anches et soufflets” et à Miguel Gramontain pour leur accueil et l’autorisation d’utilisation de leurs photographies.

Vous retrouverez leur extraordinaire travail sur leur site:

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