Si le gant endosse à ses origines une fonction utilitaire, son histoire s’inscrit dès le Moyen âge dans celle du vêtement, de la mode et des produits de luxe, avant de connaître un véritable essor au cours du 18ème siècle. Cet objet, resté discret dans l’univers de la mode s’est cependant petit à petit imposé au 19ème siècle et jusque dans les années 1950 en un objet « socialement indispensable » pour agrémenter la toilette féminine. Moins présent aujourd’hui dans notre quotidien, il continue cependant à incarner à la fois un marqueur social et le symbole de l’élégance par excellence.
C’est ainsi que l’histoire du gant en fait de nos jours un bien culturel ancré dans un savoir-faire traditionnel, mais pour lequel les inventions opérées au fil du temps et les savoirs relatifs à cette industrie ont façonné l’art de la ganterie, le transformant en un riche patrimoine réinvesti par les artisans contemporains.
Le gant, une histoire millénaire
Le gant se définit comme un objet fait de peau, d’étoffe ou de laine, mais aussi d’autres matériaux comme le métal. Il épouse la forme des doigts et de la main, pouvant couvrir celle-ci jusqu’au poignet ou plus haut. Il est utilisé comme accessoire de l’habillement mais également comme protection, et sert à des activités aussi nombreuses que diverses.
Sous sa forme originelle, le gant correspondait plutôt à une enveloppe à doigts de type mitaine. Cependant, des fouilles archéologiques ont permis de découvrir des restes d’une paire de gants en lin tissé dans la tombe du pharaon Toutankhamon dont la forme à 5 doigts correspond à nos gants actuels.
Le fait de protéger sa main du froid est cependant encore plus ancien : des peintures rupestres datées du paléolithique supérieur (20 à 40000 ans avant notre ère) et représentant des formes de protection de la main ont en effet été découvertes dans une grotte près de Marseille.
On retrouve également la trace du gant dans l’Antiquité grecque et romaine, en particulier dans certaines traductions de l’Odyssée d’Homère.
Si plus tard les Gaulois font du gant un élément de prestige, la Bible est le premier ouvrage à évoquer une peau couvrant les mains. A partir du VIIe siècle, cet élément vestimentaire marque la supériorité d’un personnage, laïc ou religieux et deux siècles plus tard les Carolingiens renforceront même cette place en élevant le gant au rang de symbole religieux, devenant après la mitre et la crosse le troisième attribut épiscopal majeur. C’est également sous le règne des Carolingiens que le gant se transformera en symbole royal, matérialisation de l’autorité et de l’étiquette du pouvoir: Dès lors et pour les siècles à venir, chaque Roi recevra des gants blancs, symbole de noblesse et de pureté, lors de la cérémonie de couronnement à Reims.
Le gant comme marqueur social au Moyen Age
Jusqu’au Moyen Âge, le rôle du gant reste donc prioritairement un moyen de protection pour les artisans, allant jusqu’à se transformer en signe spécifique de certaines corporations professionnelles. Ainsi en est-il pour les tailleurs de pierre dont les gants de chevreau blanc, signe de compétence, symbolisent par leur couleur ceux portés par les artisans pour se protéger des écorchures ou des brûlures de la chaux.
Au XIIème siècle, le gant fait également partie intégrante de l’armure et le restera jusqu’au XVIIème siècle. Fabriqués par l’armurier, les gantelets, conçus à partir de peau épaisse renforcée de mailles ou de lamelles de fer qui se chevauchent protègent les mains du chevalier des blessures, mais surtout des contacts impurs.
Petit à petit cependant, de nouvelles perspectives s’ouvrent pour le gant qui, à la fin du Moyen-Age, se transforme en un atout de distinction et d’élégance. Même si, entre les XIIIème et XVème siècle il reste encore prioritairement l’apanage des hommes, certaines dames de haut rang commencent à en porter, leur préférence allant aux gants en chevreau, au cuir particulièrement mince et souple.
Le gant évolue ainsi vers un accessoire d’apparat et de raffinement autour duquel de nombreux codes sociaux vont s’élaborer : Se déganter lorsque l’on serre la main à quelqu’un aurait pour origine la crainte que ne soit dissimulée dans les gants une pointe enduite de poison ; jeter un gant aux pieds ou au visage d’un tiers est un signe de défi, voire de provocation en duel.
Dans le milieu ecclésiastique le gant blanc reste un symbole de pureté, de droiture et de foi. Cependant, les abbés obtiennent dès le Xème siècle le droit de porter des gants brodés d’une croix, avant que leur couleur permette d’indiquer la fonction du prélat : rouge pour le cardinal, violet pour l’évêque et blanc pour le pape.
XVIème-XVIIIème siècle : la subtile alliance du gant et du parfum
A partir du XVème siècle, l’évolution de l’art de la guerre débouche sur le remplacement progressif des austères places fortes du Moyen-âge par des châteaux raffinés. Cette période de la Renaissance élève alors l’esthétisme et la coquetterie comme valeurs centrales de l’époque. C’est dans le cadre de ce mouvement qui a pour point de départ l’Italie que la femme à son tour, s’approprie le gant. On porte ainsi au crédit de Catherine de Médicis (1519-1589) d’avoir introduit en France la mode des gants parfumés.
Sans la chimie moderne, le tannage du cuir était pratiqué grâce à l’urine, engendrant une odeur particulièrement dérangeante pour les nobles qui portaient les gants.
L’histoire raconte qu’un jeune grassois eut l’idée de plonger une paire de gants en cuir dans un bain d’essences naturelles et de l’offrir à Catherine de Médicis. Ces gants parfumés sont le début d’un engouement qui s’étendra dans toute l’Europe. Durant deux siècles, on broda également les gants de cuir à l’aide de boutons d’or, de perles, de soie et de fils précieux, le transformant en marqueur incontournable de l’élégance. Les maîtres gantiers créeront également des gants avec crevés qui permettent d’apercevoir les bagues. A la mort d’Anne D’Autriche (1666) l’inventaire de ses biens dénote la présence de trois cents paires de gants.
Les gants parfumés disparaissent après la Révolution Française, en même temps que l’accessoire, en raison de la condamnation en cette époque troublée de tout signe de faste. Il faudra attendre le 1er Empire pour que le gant revienne en grâce, en particulier grâce à l’impératrice Joséphine, qui en utilisait jusqu’à mille paires par an.
1850-1930 : L’apogée de la ganterie française
Le port du gant était ancré dans les mœurs au XIXe siècle et on en trouve de nombreuses illustrations dans les journaux de mode de l’époque.
Dans la première moitié du XIXème siècle, ils sont plutôt simples, de couleur blanche et demi-longs, couvrant l’avant- bras jusqu’au coude. Discrètement brodés, ils accompagnent le soir les robes de bal, leur longueur dépendant de celle des manches de la robe.
Sous le Second Empire, la ganterie française connaît un franc succès. Pour preuve, lors de l’exposition universelle de 1851 à Londres, les gantiers français sont primés à six reprises.
Comme dans tant d’autres domaines, le XIXème siècle marque l’histoire du gant par des avancées techniques qui permettront la mise sur le marché de produits innovants comme le gant à « fermoir à pression », le « gant lavable » ou le « gant bon marché », fabriqué à partir d’une peau d’agneau imitant la peau de chevreau.
Le Grenoblois Xavier Jouvin invente un système de pointure permettant au client de choisir sa taille pour être bien ganté, ainsi qu’une nouvelle technique pour découper le gant non plus aux ciseaux mais mécaniquement. Cette invention permet une fabrication plus régulière et plus rapide.
Au fil du temps,la mode du gant varie, tant dans son esthétique (long, court) qu’au niveau des couleurs. Un rapprochement entre les artisans gantiers et les milieux de la mode s’opère dès le début du XXe siècle, afin de concevoir des produits collant à l’évolution de la société et à même de séduire l’acheteur de plus en plus exigent. Dès les années 1900, la concurrence provoquée par ces nouveaux procédés ainsi que la mode des mains nues permettant de mettre bagues et bracelets en évidence génère une baisse des ventes des gants de luxe.
D’autre part, le gant de peau résiste mal à l’engouement féminin pour la ganterie de tissu.
Mais en même temps, l’engouement pour les activités sportives comme le golf, la conduite automobile ou les sports d’hiver vont favoriser dès 1910 le développement d’une gamme où le gant de sport devient l’article incontournable pour toute « femme élégante » qui en pratique… avant que des modèles de laine et de tissu s’imposent à leur tour.
Après la seconde guerre mondiale, le rapport de la société aux gants change et ce dernier bascule définitivement vers la fonction utilitaire de protection thermique, entraînant le déclin de l’activité gantière de mode.
L’âge d’or des manufactures de gant
Le développement de la ganterie française va s’articuler au fil du temps entre cinq centres principaux : Millau, Grenoble, Niort, et avec une moindre activité Paris et Chaumont, chaque centre ayant sa spécialité.
A Millau, les peaux d’agneau proviennent de l’Aveyron et des départements limitrophes qui fournissent aux ateliers 24 à 25.000 douzaines de peaux par an. Mais l’activité millavoise ne se limite pas aux gants d’agneau. Elle travaille aussi les cuirs de chèvre et importe des peaux de pécari provenant des Amériques.
A Niort où la tradition chamoisière date du XIIIème siècle, on travaille le mouton chamoisé (c’est-à-dire tanné à l’huile).On comptera jusqu’à 56 ganteries en 1825 et 4000 employés, 40000 douzaines de gants sortant des ateliers de la ville. Entre les deux guerres mondiales, 1 gant sur 5 de la production française était encore fabriqué à Niort.
A Grenoble, l’activité manufacturière de la ganterie s’impose à partir du XVIIIème siècle autour du cuir de chevreau, comme la première activité économique d’un secteur florissant. Les gants de luxe fabriqués dans la cité dauphinoise et ses alentours s’exportent notamment en Italie, en Allemagne, mais aussi aux États-Unis, au Canada ou en Australie et feront rayonner le bassin jusqu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale.
De nos jours, la production multiséculaire de Niort s’est arrêtée au début de ce siècle et la ville de Millau ne compte plus que 5 gantiers. Quant à Grenoble, une seule maison, fondée en 1885 fait perdurer cet héritage multi centenaire.
La ganterie contemporaine, métier d’art par excellence
De nos jours, la ganterie s’inscrit pleinement dans le patrimoine national. Au-delà, des démarches ont été entreprises par les différents acteurs de la branche du travail des cuirs et peaux de Millau pour inscrire cet héritage et ce savoir-faire sur la liste du Patrimoine Culturel Immatériel de l’UNESCO.
Les derniers héritiers de ce savoir-faire ancestral, comme le Maître gantier grenoblois, meilleur ouvrier de France Jean Strazzeri continuent, à l’instar de leurs prédécesseurs, à découper les peaux dans des matières nobles avec patience et minutie.
La coupe du gant se divise en diverses étapes qui commence par la sélection soigneuse des peaux, qui seront ensuite teintes si besoin.
La peau, est ensuite enroulée sur elle-même dans un linge légèrement humide jusqu’à séchage complet. Cette étape, nommée « le prêtant » dans le jargon des gantiers, permet d’obtenir un cuir à la souplesse inégalable.
Ce n’est qu’une fois le cuir bien sec que le gantier passe à la confection du gant : Le placage consiste à étirer la peau au maximum. Cette opération va permettre à l’artisan de repérer les éventuels petits défauts de la matière première et de déterminer ainsi l’emplacement des différentes pièces à découper.
L’étavillonnage consiste ensuite à étirer une dernière fois la peau avant la découpe, afin que la taille du gant reste stable au fil des années.
La peau ainsi étirée est ensuite déposée sur un patron obtenu à partir des mains de fer (emporte-pièce inventé dans les années 1836 par Xavier Jouvin) et découpée à l’aide d’une presse hydraulique.
Afin d’obtenir une pièce parfaite, la finition se doit d’être impeccable. Ainsi, avant de coudre le gant, l’artisan va supprimer les éventuels excédents de peau grâce à une paire de ciseaux adaptés : on parle de raffilage.
L’artisan peut enfin coudre chaque gant. Cette étape demande là encore minutie, rigueur et patience. En effet, chaque couture doit être soigneusement vérifiée avant que le gant soit repassé à l’aide d’une main chauffante introduite dans la pièce.
Si les gants doivent présenter une fantaisie sous forme de broderie ou toute autre ornement distinctif, ces derniers sont bien entendu réalisés à la main avant que les pièces soient cousues entre elles.
Quand le milieu de la Haute Couture perpétue la tradition du gant de luxe
Si le déclin de l’industrie du gant est aujourd’hui achevé et que le gant est de nos jours moins plébiscité qu’hier, des initiatives parfois inspirées par le passé ouvrent à des partenariats intéressants. Ainsi en est-il du gant parfumé remis en avant en 2010 au travers d’une collaboration entre la maison Guerlain et la ganterie Agnelle de Saint-Junien (Limousin).
Des Maisons comme Chanel, Dior, Hermès ou Vuitton se gantent quant à elles toujours à Millau, permettant ainsi à l’un des fleurons de la mode à la française de continuer à rayonner de par le monde. La clientèle du luxe est exigeante et les productions se font sous forme de toutes petites séries. Mais qu’il soit long pour les élégantes, en agneau pour la souplesse, en peau de python ou d’iguane pour l’exotisme … le gant revient ainsi régulièrement dans les grandes maisons comme accessoire de mode indispensable, continuant à séduire des artistes comme Sharon Stone ou Madonna.
Un immense merci à la maison “L’atelier du Gantier” (Millau) pour son autorisation à utiliser les photographies de son merveilleux site: https://www.atelierdugantier.fr
Pour aller plus loin :
Rencontre avec le dernier gantier de Grenoble: https://www.youtube.com/watch?v=EbIT_DExRVU
La chamoiserie a fait la renommée de Niort: https://www.niortmaraispoitevin.com/explorer-la-destination/niort/port-boinot/la-chamoiserie-a-fait-la-renommee-de-niort/