La nacre, un feu d’artifice et de couleurs
La nacre est un matériau biominéral que l’on trouve dans la partie interne des coquillages. Si les mystères de sa formation complexe ne sont pas encore à ce jour totalement élucidés, la nacre résulte cependant de la superposition régulière de couches de conchyoline et de cristaux d’aragonite, dont la disposition particulière, en interférant avec les radiations lumineuses, lui donne son aspect irisé et allume des reflets qui changent en fonction de l’angle d’observation.
La palette de nuances que nous offre la nacre est infinie : Du blanc argenté au rose clair pour les couleurs les plus fréquemment rencontrées, elle se décline également du jaune au violet, avec des irisations allant jusqu’à emprunter toutes les couleurs d’un arc en ciel.
De la nacre venue de tous les coins du globe
Les mollusques nacrés proviennent de Nouvelle Zélande, d’Australie et de Polynésie, mais également de Californie et de Floride, des Philippines, de Djibouti, de Madagascar et d’Inde, d’Indonésie ou de la mer d’Arabie.
La nacre de Paua, ou « opale de mer », utilisée depuis longtemps par les Maoris, présente de riches couleurs à dominante bleu-vert sur fond sombre, un peu comme des traces de pétrole.
La Pinctada Margaritifera de Polynésie, également appelée « huître aux lèvres noires » est un grand mollusque bivalve excessivement fragile qui ne vit que dans quelques lagons du Pacifique. Elle est à la source de la production des perles noires de Tahiti et de métiers comme ceux de nacrier, bijoutier ou graveur.
La nacre provenant du coquillage Burgau, avec ses surprenants effets éclatants et sa magnifique brillance, a quant à elle connu son heure de gloire en sublimant les éventails, accessoires de séduction et de pouvoir pendant plusieurs siècles.
Plus près de nous, en Bretagne, les coquilles d’ormeaux aussi nommées coquilles d’Abalone renferment elles aussi un véritable trésor à l’intérieur irisé que les nacriers excellent à mettre en valeur.
L’histoire ancestrale du travail de la nacre
La nacre, dont le nom vient de l’arabe « naqqarah » est utilisée par l’Homme depuis la nuit des temps. Ainsi, des fouilles archéologiques ont-elles mis au jour des parures en coquillage datant de la préhistoire, ainsi que des outils et des bijoux fabriqués en Mésopotamie.
Cette matière irisée ayant fasciné toutes les civilisations humaines, on en retrouve des témoignages en Turquie datant de l’âge de Bronze, mais également en Égypte qui remontent à 4500 ans avant notre ère, puis dans les Empires Mayas, Ottomans et Mongols.
Au cours du temps, les rôles dévolus à la nacre ainsi que ses utilisations ont été multiples et ont embrassé d’innombrables domaines :
Si les chinois l’utilisaient pour réaliser des figurines de leurs dieux, les Indiens Yaqui du Mexique la portaient sous forme de colliers censés leur offrir une protection contre les forces du mal.
Les tribus amérindiennes du nord-est quant à elles, utilisaient les coquillages nacrés pour tisser des objets rituels précieux et sacrés, orner leurs ceintures et leurs colliers, et s’en servaient également comme cadeau pour sceller un pacte.
Les populations polynésiennes, mais également celles de l’Océan Indien, d’Afrique, d’Amérique du Nord ou des Caraïbes utilisaient les coquillages comme monnaie d’échange. Ceux-ci prenaient alors d’autant plus de valeur qu’ils étaient échangés par des peuples vivant loin des côtes.
Depuis la préhistoire, les coquillages ont également été largement utilisés comme instruments de musique à vent grâce à quelques trous percés notamment dans des coquillages spiralés.
L’utilisation des coquillages nacrés comme instrument de musique se retrouve dans l’hindouisme où la conque symbolise la trompe des héros et la création du monde, et dans le bouddhisme où elle représente la voix de Bouddha et son enseignement.
D’autres religions vont également s’emparer des particularités de la nacre pour magnifier les croyances :
Le Coran, qui interdit la représentation de personnes ou d’animaux, mettra la nacre à l’honneur pour rehausser les formes abstraites et géographiques de son art.
Les premiers chrétiens quant à eux adopteront les coquillages comme symbole de résurrection, et la nacre en raison de sa couleur laiteuse et douce, incarnera la pureté de l’amour maternel de la Vierge Marie. C’est la raison pour laquelle les chapelets seront réalisés dans cette matière.
Plus tard, la coquille Saint Jacques, deviendra le signe de reconnaissance des pèlerins se rendant à saint Jacques de Compostelle, au nord-ouest de l’Espagne.
Au XXIème siècle, les chercheurs en médecine s’intéressent particulièrement aux qualités régénératrices de la nacre qui pourrait être utilisée en chirurgie osseuse.
La lithothérapie (méthode de soin par les pierres) quant à elle affirme que ce biominéral apporterait de multiples bienfaits, apaisant les angoisses, favorisant la circulation des énergies et stimulant la créativité.
La nacre, matériau d’ornement précieux
Après qu’Elisabeth 1ere d’Angleterre, qui avait une passion pour les perles, ait baptisé la nacre du nom de « Mother of Pearl », celle-ci connaît une demande accrue, en particulier pour la confection de pendentifs et d’objets d’art précieux.
Son utilisation sous forme d’incrustations sera également de plus en plus appréciée, et la Renaissance produira des pièces remarquables : camées coquilles (sculptés sur des coquillages marins à partir de l’extérieur de la coquille), nautile monté en argent doré sur roues (pièce connue sous le nom de nef du cardinal de Lorraine), navette à encens conservée dans le trésor de la cathédrale de Chartres, etc.
Le goût pour la nacre ne se démentira pas sous le règne de Louis XV, ni durant la Restauration et le Second Empire : Ses reflets laiteux mettront en valeur le mobilier créé par le talentueux ébéniste Boulle, ou magnifieront des accessoires de mode luxueux ou des bijoux délicats.
Grandeur et disparition des ateliers de Méru
L’utilisation importante de la nacre par les ateliers parisiens transformeront au milieu du XIX ème siècle la région de Méru dans l’Oise en centre névralgique de l’activité nacrière. Cette localité, située à 50 km de la capitale, accueillera également de nombreux ateliers de tabletiers pour la fabrication de dominos, d’éventails ou de boutons.
Au début du XXe siècle, la nacre sert essentiellement à la fabrication de boutons. Un atelier de 25 ouvriers qualifiés en produit jusqu’à 20 000 par jour.
La première guerre mondiale vient perturber cette industrie en raison d’un manque d’effectifs et de problèmes d’approvisionnement en coquillages nacrés. Dans les années 1930, l’automatisation de la fabrication des boutons provoque la fermeture des usines.
La production s’arrête totalement durant la seconde guerre mondiale et ne reprend qu’à la fin de celle-ci, mais de façon beaucoup moins importante. L’apparition des matières plastiques accélère le déclin de cette industrie qui s’éteint peu à peu.
L’artisan d’art nacrier, un métier insolite
Si le travail de la nacre a connu une période d’éclipse, le XXIème siècle semble sortir cet art si particulier de son sommeil.
Ainsi, utilisée pour décorer des objets du quotidien comme les stylos ou les couteaux, la nacre est à nouveau très prisée dans le monde de la joaillerie et de l’horlogerie de luxe.
Certains luthiers la travaillent également pour ennoblir violons et guitares, transformant dès lors ces instruments en véritables œuvres d’art.
La Polynésie française, renommée pour la beauté et la qualité de ses perles fines, voit également renaître l’artisanat ancestral de la gravure sur nacre, pour lequel se passionnent aujourd’hui une centaine de jeunes talents.
En revanche, ces artisans d’art d’exception se comptent en France métropolitaine sur les doigts d’une seule main : On peut les rencontrer sur l’île d’Aix à l’est d’Oléron, au cœur de la Saône et Loire, ou à Tréguier dans les Cotes d’Armor.
Ces nacriers travaillent pour l’industrie du luxe, créent des bijoux ou des objets décoratifs allant de petites pièces à des parements muraux, collaborent avec des céramistes ou des ébénistes ou mettent leur savoir-faire au service de la restauration de pièces d’exception.
Une production perdure également entre les murs du musée de la nacre et de la tabletterie à Méru, qui, au-delà de son activité de mémoire, propose un service de restauration de pièces anciennes et continue de produire des pièces comme des boutons.
La formation des artisans d’art nacriers
L’Institut National des Métiers d’Art (INMA) répertorie le métier de nacrier comme appartenant au domaine de la tabletterie.
La transmission de ce savoir-faire repose uniquement sur les artisans en activité. En effet, il n’existe en France métropolitaine aucune formation initiale, ni formation professionnelle continue spécifique ouvrant à la profession de nacrier. Ce n’est plus le cas en Polynésie où des formations de graveur sur nacre se développent depuis quelques années.
Le travail de la nacre : à la recherche d’un trésor irisé
Au-delà de ce métier devenu confidentiel, l’approvisionnement en matière première peut également représenter un écueil à la pratique de cet artisanat d’art. En effet, les mollusques dont est extraite la nacre sont pour la plupart protégés et soumis à la Convention de Washington, qui réglemente le commerce international de 34 000 espèces animales considérées comme en danger ou menacées d’extinction. Pour leur part, certains artisans nacriers comme Audrey et Delphine Le Poupon (Atelier Ys Paris), installées dans les Côtes d’Armor, ont choisi de travailler la nacre locale des coquilles d’ormeaux.
S’approprier le matériau est une démarche qui demande de maîtriser de nombreuses contraintes techniques pour réussir à extraire la matière semi- précieuse qu’est la nacre.
Le travail de l’artisan d’art, qui débute par le tri et le choix des coquillages qu’il va travailler, est suivi d’une étape de nettoyage et de polissage du manteau extérieur du coquillage afin de mettre à jour la nacre.
Celle-ci sera ensuite découpée, meulée, polie, en fonction du projet de l’artisan d’art qui, maître dans l’art de la tailler, de la ciseler ou de la graver, saura en tout état de cause la magnifier.
Ce travail, qui demande une certaine force dans la première étape, nécessite également et tout au long du processus de création patience et dextérité, à la fois pour mettre au jour la palette de couleurs que peut offrir le coquillage, que pour transformer la nacre en des objets, bijoux, ou éléments décoratifs aussi précieux que fascinants, dans une dynamique de création et d’innovation sans cesse alimentée et renouvelée.
La nacre, sous les doigts experts de ces artisans d’art au savoir-faire unique et singulier, surgit comme d’un écrin de sa gangue grisâtre, offrant un spectre de couleurs infini que le nacrier passionné par son art saura sublimer pour notre plus grand plaisir, éveillant en nous une palette inouïe d’émotions.
Un grand merci à Madame Pauline MOHAUPT, chargée de promotion et de communication au Musée de la nacre et de la tabletterie de Méru pour son accueil, sa disponibilité et le prêt de magnifiques photographies.
Un grand merci également à Audrey et Delphine Le Poupon (Atelier Ys Paris) pour leur accueil chaleureux et l’autorisation d’utiliser les photographies de leur site internet.
Pour aller plus loin…
Musée de la nacre et de la tabletterie, 51 rue Roger Salengro, 60110 Méru
Gallet nacres
http://kroundave.free.fr/gallet.htm
Ys Paris, 2 rue Colvestre, 22220 TREGUIER
Quelle matière magnifique et métier d’art passionnant ! Merci pour ce bel article Catherine, un plaisir à lire 🙂
Merci pour ce commentaire qui m’encourage à continuer de vous faire découvrir ces métiers d’art et ceux qui les font vivre.