LE CARNAVAL DE RIO: UN UNIVERS MAGIQUE ET FLAMBOYANT

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  • Publication publiée :6 février 2022
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Impossible d’évoquer le mois de février sans penser aux carnavals qui distillent un « esprit de joie » sur tous les continents. Ceux du Brésil sont peut-être les plus fous du monde. Et celui de Rio de Janeiro représente un évènement culturel majeur.  Cette véritable « fête nationale » dure cinq jours. Même si elle bat son plein dans toute la ville avec plus de 400 blocos (groupes), le sambodrome en représente l’épicentre. Investie par des défilés luxuriants menés par les écoles de samba, cette avenue, large de 13,5 mètres, bordée de chaque côté  de hauts gradins, de loges et de tribunes, est dédiée depuis 1984 à cette manifestation unique au monde. Elle peut accueillir jusqu’à 88 500 spectateurs répartis sur une distance de 800mètres

Considérée comme l’une des plus grandes fêtes populaires au monde, le carnaval de Rio réunit chaque année des millions de participants venus de la planète entière.

Le sambodrome

Les origines

Le carnaval de Rio puise son origine dans différentes cultures. Comme dans tout le pays, il est entre autres l’héritier des carnavals européens qui remontent eux- même au Moyen âge et même au-delà, comme en témoignent les bacchanales et autres fêtes dionysiaques de la Grèce antique.

Les colons portugais apportent avec eux, à la fin du XVIème siècle, la religion catholique et les pénitences du Carême. Depuis le VIIIème siècle, ce dernier est en effet imposé par l’Eglise. Temps de prière et de détachement des biens matériels, il prépare les fidèles à la fête de Pâques. Tous les plaisirs et festivités sont interdits, en hommage aux quarante jours de jeûne du Christ dans le désert avant sa mission de salut. 

L’origine du mot carnaval, « Carne Vale », signifie “Adieu à la viande”. Il débute le lendemain de l’Épiphanie et se termine à mardi gras. Ce temps de relâchement nécessaire avant une longue période de restrictions est tout d’abord condamné par l’Église qui y voit un héritage des saturnales romaines. Puis, ne pouvant s’y opposer, elle récupère cette « fête des fous » qui, une fois dans l’année, marque l’inversion des rôles et le renversement des pouvoirs : Les esclaves deviennent les maîtres, on se moque des dirigeants en se déguisant et en portant un masque afin de ne pas être reconnu. Enfin, “le pape des fous”, roi du Carnaval, est élu.

Le carnaval au Moyen âge

Les influences africaines du carnaval de Rio

La colonisation portugaise du Brésil s’accompagne, dès la première moitié du XVIème siècle, du commerce des esclaves et de l’arrivée d’africains qui vont, au fil du temps se mêler aux amérindiens et aux européens pour former le peuple brésilien d’aujourd’hui.

C’est ainsi qu’une partie des traditions du carnaval de Rio est issue de coutumes africaines, que l’on retrouve dans les motifs géométriques et le contraste des couleurs de certains costumes, mais aussi au travers d’accessoires comme les amulettes faites d’os, de cornes ou de dents.

On retrouve également cette influence dans certaines figurines incarnant des dieux et des déesses, des offrandes de fruits, de colliers de perles, de coquillages, ainsi que dans le choix de masques en bois qui permettent à celui qui les porte de changer d’identité et de se doter, le temps du carnaval de pouvoirs surnaturels.

Les origines africaines. CNCS/Moulins (France)

L’héritage des peuples indiens

Lorsqu’ils débarquèrent sur les côtes du « nouveau monde », les explorateurs portugais furent frappés par la grande beauté des plumes et par les peintures corporelles dont les Indiens se paraient. Ces dernières, préparées à base de fruits et de plantes révèlent la position des individus dans le groupe. Les plumes, collées sur les masques ou utilisées pour la confection de bracelets et de colliers, symbolisent l’élévation et à la renaissance des esprits. Les coiffes quant à elles sont utilisées lors de cérémonies et de rituels.

Aujourd’hui, le carnaval de Rio rend hommage à ces traditions ancestrales en utilisant abondamment des plumes naturelles ou artificielles, en magnifiant la nudité et les ornements corporels. Les chars allégoriques et le recours à des matières végétales reproduisent pour leur part la végétation exotique et luxuriante de l’Amazonie, ainsi que les animaux sauvages.

Hommage aux peuples indiens/ CNCS/Moulins/France

Un souffle venu de France

Au XIXème siècle, le carnaval de Rio, dans une volonté de hisser le Brésil au rang des « nations civilisées », copie le modèle français qui à l’époque s’impose comme le centre culturel de référence du monde occidental. C’est ainsi que la mode française des bals avec costumes d’époque traverse les océans pour s’implanter à Rio. Les costumes de style historique vont dès lors intégrer le défilé : taillés dans des tissus satinés et ornés de dentelles, brodés de sequins et de paillettes, ils rappellent la mode luxueuse en usage à la cour de France. Des accessoires comme des gants, des chapeaux et des perruques volumineuses viennent compléter la panoplie.

L’héritage français CNCS/Moulins/France

Le thème

La première étape du processus préparatoire du défilé consiste à en concevoir le thème (enderos) qui déterminera la composition du cortège. L’histoire choisie, différente d’une année sur l’autre et possiblement variable d’une école de samba à l’autre, est imaginée par le carnavalesco (metteur en scène). Les sujets mis en scène sont en général étroitement liés aux origines et à l’identité du peuple brésilien, à ses valeurs, à la religion, la culture ou l’histoire du pays. D’autres sujets, plus universels, peuvent avoir trait à la politique, au sport, à l’écologie, mais également dénoncer des injustices.

En tout état de cause, le thème n’est jamais choisi au hasard et résulte d’une véritable démarche créative.

Cette étape franchie, le canavalesco va traduire le sujet en une histoire qui servira de fil rouge au spectacle. Le savoir-faire de ce personnage incontournable réside dans sa capacité à transposer sous de multiples formes le scénario imaginé, et à l’illustrer grâce à la musique, à la danse, et bien sûr aux impressionnants chars allégoriques.

Il réalise les dessins des costumes et des chars, assure et gère l’ensemble des opérations nécessaires à la fabrication de tous les éléments concernant le défilé. Mélangeant plusieurs formes artistiques, le carnavalesco est le grand ordonnateur capable de transformer les cortèges en véritables shows.

Ces multiples éléments qui composent l’âme même du carnaval de Rio vont trouver toute leur raison d’être grâce à la mobilisation de nombreux protagonistes, qui vont transformer chaque année ce défilé en un moment unique.

Dessin de Fabio Ricardo pour l’école de samba Unidos de Padre Miguel, 2020 (Carnaval de Rio/ Silvana Editoriale)

Les écoles de samba

Les écoles de samba sont nées à Rio de Janeiro dans les années 1930 pour se transformer au fil du temps en de fabuleux spectacles à ciel ouvert. Gardiennes vivantes des traditions et de la culture brésilienne qu’elles font rayonner aux yeux du monde entier, elles sont constituées par des habitants de tous les quartiers.

Si chaque école de samba est libre de choisir son propre thème pour le carnaval, chacune raconte une histoire au travers de plusieurs tableaux qui s’animent par la magie des costumes, des chars, des chorégraphies et de la musique.

Les groupes 

Les Alas sont des groupes à pied de 100 à 200 personnes qui défilent ensemble.  Vêtus d’un costume identique ou d’un ensemble de costumes présentant une cohérence, les alas peuvent défiler avec ou sans chorégraphie préalablement établie. Ils sont considérés comme « l’âme » de l’école de samba et prennent place entre les chars allégoriques qu’ils encadrent. Ils font ainsi le lien entre les différentes écoles, construisant par là même une unité dans le thème global du défilé.

Alas: Costume. CNCS/Moulins/France

La porte-drapeau et le maître de cérémonie

Ce couple, qui joue un rôle spécifique dans la procession générale, représente un des éléments majeurs du défilé : La Porta-bandeira porte haut les emblèmes et les couleurs de l’école, tandis que le Mestre- sala la protège tout en lui faisant la cour.

Placé en tête du défilé de l’école, le duo en annonce les couleurs en portant haut son drapeau comme un étendard identitaire.

Les costumes portés par ces deux personnages sont d’une facture très différente de ceux des groupes. Ils renvoient aux vêtements européens des cours des XVIIIème et XIXème siècle. Leur rendu est exceptionnel et se rapproche de l’esthétique de la Haute couture. Celui de la Porta-bandeira, structuré sur une grande crinoline, permet de valoriser la chorégraphie, qui, différente de celle des sambas, s’inspire plutôt des danses européennes.

Porte-drapeau/ CNCS/ Moulins/ France

Les autres participants

La bateria désigne le groupe de musiciens jouant la samba de l’école lors du défilé. Tous portent le même costume. Constitué uniquement d’instruments à percussion liés à la culture afro-brésilienne, le groupe peut compter jusqu’à trois cents ritmistas (batteurs) qui vont impulser le rythme et la cadence au cortège.

Le mestre de bateria (chef de la batterie) commande l’orchestre pendant que le puxador (chanteur soliste), accompagné d’un groupe de chanteurs, chante la samba tout au long du défilé et entraîne la foule avec lui. La reine de la batterie ( rainha da bateria) véritable muse de l’orchestre, danse quant à elle devant la batterie, vêtue d’un costume à la fois sensuel et exubérant, orné de plumes et de strass et mettant en valeur son corps et ses mouvements.

Bateria. Carnaval de Rio 2018

Le passage des Baianas est l’un des moments les plus attendus du défilé. Considérées comme les « mères de la samba », elles représentent la tradition, l’expérience et la beauté. Les baianas bénéficient du respect de tous.

Ces femmes, âgées de plus de 60 ans, portent de lourdes robes rondes et amples, et leurs costumes peuvent peser jusqu’à 20 kg : garnis de volants et de dentelles, ils sont composés d’une large jupe à crinoline d’une ampleur de 5 à 6 m de circonférence. La décoration de leurs hautes coiffes est démesurée : colliers, rubans, objets porte bonheur, parfois même moules à gâteaux. Ces accessoires éclectiques font largement référence à la période de l’abolition de l’esclavage, lorsque de nombreux africains se sont rapprochés de Rio, emportant avec eux leurs traditions, leurs coutumes, leurs croyances et leurs rituels. 

Leurs chorégraphies, qui les amènent à tourner toutes ensemble à des moments précis du défilé, offrent un effet visuel saisissant.

Baiana/ CNCS/Moulins/France

A l’écart du sambodrome, les bate-bolas (littéralement « frappe ballons »), correspondent à une sorte de version brésilienne de nos clowns. Personnages traditionnellement issus des banlieues de Rio, ils portent des accessoires aussi emblématiques qu’éclectiques : ballon en plastique fixé à un bâton (héritage des vessies de vache gonflées d’air d’autrefois) qu’ils frappent le plus violemment possible sur le sol pour faire un bruit sec, éventail, ombrelle, ours en peluche, drapeaux, … Effrayant, bruyants, désordonnés, les bate-bolas portent des costumes très colorés, aussi  variés que surprenants,  adoptant des thèmes pouvant évoquer tant  l’art de la bande dessinée que le monde des jeux vidéo, du cinéma ou de la télévision.

Leurs déguisements, qui changent chaque année, couvrent l’ensemble du corps, dans un amoncellement de pièces : capuches, gants, plastrons, chaussettes. Les membres du bate-bolas affichent leur appartenance au groupe au travers d’éléments comme un emblème, un hymne, une identité de comportement.

Bate bolas. Photographie Christophe Simon/AFP

Les chars allégoriques

Mais la fête ne serait pas totale sans les chars allégoriques qui rythment le défilé et délimitent les différentes sections du cortège.

Ces immenses structures sur roues, longues de 20 mètres et larges de 8, peuvent atteindre plus de quinze mètres de haut. Elles sont décorées à partir de structures faites de bois, d’acier, de polystyrène ou de plastique.

Les chars peuvent ainsi prendre une multitude d’apparences en fonction du thème choisi par l’école de samba : forêt, piscine, dragon, palais, animaux de toutes sortes, …

Parmi les personnages qui s’installent sur ces structures mobiles qui traversent le sambodrome, le principal est le destaque. Cette vedette prend généralement place sur le sommet des chars. Son costume, qui compte parmi les plus beaux du carnaval, est créé sur mesure et réalisé pour cette unique parade. C’est une véritable parure de luxe dont la réalisation demande des dizaines d’heures de travail.

Destaque/Ecole Sao Clemente/ 2017

La fabrication des costumes

Le défilé d’une école de samba réunit trois à quatre mille personnes, ce qui sous-entend un nombre incommensurable de costumes à confectionner, en prenant comme point de départ le thème choisi par le carnavalesco. D’autre part, chaque costume, chaque masque ne met en lumière son véritable sens qu’au regard de la contextualisation.

Qu’ils soient créés pour la marche ou pour l’exhibition sur la plateforme du char, tous les costumes naissent de l’imagination et de la collaboration entre le carnavalesco, les dessinateurs, les costumiers coloristes et autres illustrateurs. Ils font tous l’objet d’un modèle dessiné, avant que celui-ci ne se transforme en un prototype dont le façonnage est confié à l’atelier de l’école de samba.

Comme dans tout atelier de couture, une fois la forme définie, le costume est coupé dans les matériaux conformes à l’idée que s’en est fait le styliste. Il est ensuite orné et enrichi par d’habiles artisans qui vont passer de nombreuses heures à fixer des paillettes, des perles, des plumes et d’autres éléments pour transformer le costume en une œuvre d’art.

Les prototypes sont alors confiés à des ateliers de couture extérieurs qui confectionneront artisanalement costumes, coiffes et chaussures. Si les festivités ne durent que quelques jours, ces travaux donnent du travail à une multitude de personnes tout au long de l’année et sont une source de revenus pour de nombreuses familles.

Ces ateliers se transforment alors en de véritables cavernes d’Ali Baba, débordantes de rouleaux d’étoffes multicolores et chatoyantes, où fourmillent des “petites mains” qui manient et mêlent avec dextérité et passion plumes véritables et plumes synthétiques, broderies, paillettes, mais également composants en plastique, fibres végétales ou résine.

Si le carnaval de Rio de Janeiro ne dure que 5 jours, le préparer demande de longs mois et le travail débute quasiment une année avant le défilé.
Mais c’est au prix de ce long cheminement fait de réflexion, de murissement, de processus créatif, d’élaboration et de conception que chaque Carnaval, dont la date est calculée comme au Moyen âge en fonction  de celle de Pâques, se transforme en une fête aussi unique qu’époustouflante.

Sauf indication contraire, les photographies proposées dans le cadre de cet article ont été prises par Catherine Monplaisi lors de sa visite au de l’exposition “Carnaval de Rio” au CNCS.

Pour aller plus loin…

https://www.cncs.fr/

Carnaval de Rio. SilvanaEditoriale

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