Dans l’imaginaire commun, l’artisan d’art n’est pas tout à fait artiste, plus tout à fait artisan. Mais alors, qui sont vraiment ces femmes et ses hommes passionnés qui façonnent de leurs mains des objets uniques, catalyseurs de rêves ?
Qu’est- ce qu’un métier d’art ?
Les métiers d’art sont aussi anciens que l’humanité. C’est en tous cas ce que nous révèlent les découvertes archéologiques : céramiques, sculptures, bijoux, …
Pour les Grecs, l’art était d’abord une tekhnè, c’est-à-dire une technique, une habile façon de s’y prendre dans un domaine donné.
Chaque civilisation, au fil du temps, va ainsi développer des savoir-faire pour répondre à ses besoins quotidiens, avant de concevoir des objets de plus en plus élaborés, à la fois raffinés et utiles.
Aujourd’hui, en France, les métiers d’art, miroir culturel de nos régions, sont solidement ancrés dans le territoire. Portés par des femmes et des hommes passionnés, ils participent activement au dynamisme économique et touristique local, tout en contribuant au rayonnement international de la France.
Un métier d’art se définit par l’association de trois critères : la mise en œuvre de savoir-faire complexes pour transformer la matière, la production d’objets uniques ou de petites séries qui présentent un caractère artistique, et la maîtrise du métier dans sa globalité.
Les métiers d’art, ce sont aussi 281 métiers recensés sur 16 domaines d’activité, dans lesquels s’illustrent des professionnels d’exception : ameublement, spectacle, travail du cuir, joaillerie, architecture et jardin, luminaire, céramique ou restauration, le patrimoine immatériel de l’artisanat d’art fait partie intégrante de notre culture et occupe chaque compartiment de notre société.
La loi du 18 juin 2014, relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, définit légalement les métiers d’art. Ainsi, “relèvent des métiers d’art, […] les personnes physiques ainsi que les dirigeants sociaux des personnes morales qui exercent, à titre principal ou secondaire, une activité indépendante de production, de patrimoine, caractérisée par la maîtrise de gestes et de techniques en vue du travail de la matière et nécessitant un apport artistique”.
Cette loi, qui reconnait officiellement l’existence des métiers d’art représente l’aboutissement d’un long processus de maturation sociale, héritage d’une longue histoire.
Des artisans d’élite, héritiers d’un savoir- faire ancestral
Henri Focillon écrit en 1934 que « L’homme a fait la main, […] il l’a dégagée peu à peu du monde animal, […] il l’a libérée d’une antique et naturelle servitude, mais la main a fait l’homme ».
Cette « vertu puissante » des mains, nous la retrouvons chez l’artisan d’art, qui lui aussi vit grâce à elles, par elles.
Ainsi, l’objet inerte, issu d’une histoire ancestrale, devient, entre les mains de l’artisan qui le façonne, une chose vivante. Du bois, de la pierre, de la terre, du fer, de la plume ou du cuir va se dégager, sous la main experte de l’artisan d’art, l’objet unique. L’artisan artiste va, grâce à sa sensibilité et son savoir-faire, en expérimentant, en innovant, imaginer l’objet différent, le façonner avec passion, le renouveler, le transformer en un objet certes, mais en un objet d’art.
Et c’est ainsi qu’entre la main et l’objet s’amorce une alliance qui n’aura pas de fin.
Artisan d’art ou artiste ?
Face à l’émotion qui étreint le visiteur, averti ou pas, devant le chef d’œuvre d’un artiste ou l’œuvre unique d’un artisan d’art, il apparait que les frontières entre l’un et l’autre sont devenues poreuses. Il devient même souvent presqu’impossible de faire basculer certaines créations dans la catégorie des objets ou dans celle des œuvres d’art.
Dans toutes les civilisations, et jusqu’au Moyen Âge pour l’Occident, l’œuvre était avant tout le résultat du travail de l’artisan, et l’art relevait plus du savoir- faire que de « l’idée romantique du génie » telle que nous concevons l’art aujourd’hui.
Ainsi, l’Antiquité ne faisait pas de différence stricte entre le métier de l’artisan et l’activité de l’artiste, et considérait au même titre le potier et le poète comme hommes de l’art.
Au Moyen Âge, le talent de ceux que l’on appelait faiseurs d’images était pareillement reconnue et partagée par les peintres, les sculpteurs, les maîtres verriers ou les tapissiers. Et jusqu’au XVIIIème siècle, la bourgeoisie, la noblesse et jusqu’au roi de France accordaient plus d’importance aux arts précieux comme l’orfèvrerie qu’aux arts visuels.
Cependant, c’est bien dès le XIIIème siècle que sculpteurs, peintres et architectes cherchent à se démarquer des autres créateurs en concevant leurs propres règles esthétiques et systèmes de fonctionnement. Les Académies deviennent alors les rivales des corporations dont il est fait mention pour la première fois dans une charte de 1160 datant du roi Louis VII, « reléguant ainsi les artisans de luxe dans un rang subalterne, celui d’exécutants de leurs propres modèles ». C’est ainsi qu’à partir du XVIIIème siècle, on parlera de Beaux- Arts pour désigner de façon exclusive les productions de l’artiste.
Cependant, du fait de leur inventivité et de leur créativité, au travers en particulier du développement du mouvement Art and Crafts à la fin du XIXème siècle, puis du rayonnement des arts décoratifs (Art nouveau, Art déco), l’artisanat d’art va vivre un renversement de situation, avec la reconnaissance de l’excellence de leurs représentants.
Si ce débat entre statut d’artiste et statut d’artisan d’art perdure encore aujourd’hui, alors que certains artisans sont considérés à juste titre comme des artistes, c’est qu’au-delà de la similitude de leur production, le fondement même de leurs réalisations diffère : en effet, si l’objet produit par l’artisan est par définition utile, l’œuvre de l’artiste n’a aucune valeur d’usage et recèle son sens en elle-même.
Pourtant, aujourd’hui, face aux chefs d’œuvres (souvent pièces uniques) exposés par les artisans d’art et régulièrement valorisés et mis en lumière par divers canaux, la frontière entre les différents champs de création de l’artiste et de l’artisan d’art semble de plus en plus invisible.
Une tradition au service de l’avenir : une œuvre de transmission
D’après une enquête réalisée par l’Observatoire des métiers d’art (2014), l’entrée dans la profession des métiers d’art se réalise fréquemment dans l’âge de la maturité et correspond à l’engagement dans une nouvelle carrière, souvent dans le cadre d’une reconversion.
C’est ainsi que 51% des artisans d’art déclarent être détenteur d’une formation diplômante dans le domaine des métiers d’art. 50% possèdent un bagage entre baccalauréat et doctorat
Mais au-delà de ces chiffres, la valeur commune et fondamentale qui anime ces artisans d’art réside dans la notion de temps : le temps de la formation et de la transmission, le temps de l’apprentissage et de l’exécution du geste parfait, celui de la création d’une œuvre qui dure.
L’artisanat d’art, c’est la perpétuation du geste ancestral dans le domaine de la conservation et de la restauration du patrimoine, l’acquisition d’un secret d’atelier, la transmission d’un savoir- faire avant qu’il ne disparaisse à jamais.
L’artisanat d’art, c’est aussi le regard tourné vers l’avenir, à travers la création pour les particuliers ou les designers : création de porcelaines et de meubles contemporains, détournement de la plume pour la décoration d’intérieur, flacons d’exception habillant des parfums de prix, …
L’artisanat d’art c’est enfin trouver de nouveaux débouchés et faire appel aux techniques les plus innovantes.
Métiers manuels et artistiques, métiers d’hier et d’aujourd’hui, les métiers d’art apparaissent plus que jamais comme des métiers de demain.
Artisanat d’art et luxe
D’ailleurs, les géants du luxe ne s’y trompent pas et communiquent sur leurs artisans, plus que jamais synonymes de raffinement et d’excellence.
Mais si l’association entre luxe et artisanat d’art se fait facilement dans le cadre de la haute couture et des grandes marques qui font rayonner le nom de la France à travers le monde, la broderie, la joaillerie ou la plumasserie ne sont pas les seuls représentants de l’artisanat d’art à travailler en étroite collaboration avec l’univers du luxe : la gravure sur or, la lunetterie, l’ébénisterie, l’horlogerie, la maroquinerie et de nombreux autres corps de métiers participent au rayonnement du luxe à la française, qui exporte vers 180 pays.
A ce jour, ces métiers manuels d’exception sont indispensables aux grands noms du luxe et contribuent à faire étinceler leur image dans le monde, puisque derrière tout produit de luxe se cache un artisan qui façonne un produit unique, tout en faisant vivre une tradition séculaire, garante d’excellence.
Plus que jamais, l’artisan d’art, à la croisée de la tradition et de l’innovation, met son habileté, sa sensibilité et son excellence au service d’un savoir-faire enraciné dans l’histoire immémoriale du geste, tout en portant son regard vers un avenir qu’il construit de ses mains d’or.
Sources :
- Observatoire des métiers d’art ; Baromètre 2014.
- Les métiers d’art : contexte, enjeux et acteurs ; Les cahiers de l’INMA, N°1
- Les métiers d’art, d’excellence et du luxe et les savoir-faire traditionnels : L’avenir entre nos mains. Rapport de Madame Catherine DUMAS, Sénatrice de Paris ; Septembre 2009
- Eloge de la main ; Henri Focillon ; 1934
- Le geste et la pensée. Artistes contre artisans, de l’Antiquité à nos jours ; Stéphane Laurent ; CNRS éditions ; 2019.
- https://www.gazette-drouot.com; L’artisan d’art est-il un artiste ; Stéphanie Pioda (octobre 2019)
- https://www.institut-metiersdart.org
Merci pour cet article très intéressant que je vais partager ! Et un grand bravo poitrine ce nouveau lieu dont on a grand besoin et que un ai hâte de découvrir ! Sandrine (atelier datcha)
Merci pour votre enthousiasme. Nous vous accueillerons au Plumarium avec un immense plaisir.