Un savoir- faire dentelier unique au monde
Le musée des Beaux-Arts et de la Dentelle d’Alençon accueille ses visiteurs au sein de la majestueuse Cour Carrée de la Dentelle, dans l’ancien collège des Jésuites de la ville. Il regroupe le patrimoine alençonnais constitué de collections qui se sont enrichies depuis la seconde partie du XIXème siècle grâce à de nombreux donateurs.
L’exposition permanente présente trois collections distinctes : une imposante collection Beaux-arts qui déroule l’histoire et l’évolution de la peinture, de la sculpture et des arts graphiques entre les XVème et XXème siècle (écoles française, italienne et nordique); un important et très riche espace ethnographique et archéologique présentant la culture cambodgienne des années 1900 (fonds Adhémard Leclère) ; la section dentelle qui témoigne de trois siècles d’une industrie florissante pratiquée dans cette ville du Nord-Ouest de la France.
La section dentelles, l’excellence d’un savoir-faire
La section dentelles du musée retrace l’histoire de ce savoir-faire depuis la seconde moitié du XVIème siècle. C’est à cette époque que les vénitiennes créent une technique appelée « punto in aria », considérée comme l’acte de naissance de la dentelle. Cet art de la légèreté se propage rapidement dans toute l’Europe. Venise devient très vite le premier centre italien de fabrication de dentelle du pays. En France, le succès de ce savoir-faire est fulgurant, favorisé par les liens étroits unissant l’Italie et la Cour de France.
Si l’existence des travaux d’aiguille est attestée dans l’Orne depuis le XVème siècle, le développement exceptionnel de l’art dentelier émerge deux siècles plus tard, aidé en cela par l’installation à Alençon et Argentan des bureaux de la Manufacture Royale de dentelle (1665). Ces centres dentelliers, grâce à une main d’œuvre nombreuse et expérimentée, produisent un matériau luxueux qui concurrencera rapidement les grands centres européens de la dentelle.
La scénographie du musée des beaux-arts et de la dentelle d’Alençon centre son fond et sa forme sur l’histoire et la technique de la dentelle au point d’Alençon, inscrite sur la Liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO (novembre 2010). Le parcours proposé invite le public à suivre les quatre siècles d’évolution technique et esthétique de la dentelle à l’aiguille, du point de Venise au point de France, jusqu’à celui d’Alençon.
Une technique d’exception
Le visiteur est invité à découvrir un processus extraordinaire, qui, s’adossant à trois éléments aussi simples qu’incontournables, la main, une aiguille et un fil (de coton ou de lin), conduit, à force de minutie et de patience, à la création d’une dentelle subtile et aérienne. Ce savoir-faire unique au monde qu’aucune machine ne peut reproduire, nécessite sept à dix ans de formation et n’est détenu aujourd’hui que par une poignée de dentellières d’exception, dont la plupart exercent à l’Atelier conservatoire national d’Alençon.
Le parcours proposé et l’accrochage des pièces engage le visiteur à découvrir un patrimoine dentellier époustouflant, comme l’extraordinaire voile de mariée (fin du XIXème siècle) qui trône au centre de l’espace, ou les créations contemporaines d’une délicatesse infinie de l’artiste Marjolaine Saldor-Morel.
Une approche très didactique détaille chacune des dix étapes de fabrication de la “Reine des dentelles” (nom donné à la dentelle d’Alençon lors de la 1ère exposition universelle de Londres en 1851) et explique comment la complexité des entrelacements du fil aboutit petit à petit à l’émergence du précieux textile :
Le dessin artistique s’exécute en deux temps : une représentation à l’encre blanche de la dentelle terminée, suivi d’un dessin technique à l’encre rouge sur calque reprenant les grandes lignes et les contours du dessin initial.
Le piquage correspond à la perforation régulière du parchemin teinté en vert (pour le repos des yeux). Il suit le tracé du dessin technique.
La trace correspond à l’armature de la dentelle : à l’aide deux aiguillées de fil, elle reproduit sur le parchemin piqué le dessin technique.
Le réseau désigne le fond spécifique au point d’Alençon, réalisé en mailles régulières et transparentes et formant en arrière-plan des ornementations une espèce de tulle très fin.
Les remplis sont les points spécifiques au décor et réalisés de mailles plus ou moins espacées pour créer des ombres.
Les modes désignent les ornementations pratiquées sur la base de dessins de fils : cristaux de neige, râteaux, venise, Saint-Esprit, mosaïque…
Les brodes, simples ou picotés, sont les points spécifiques au relief réalisés sur la trace.
Le levage désigne le moment où la dentelle est détachée du parchemin à l’aide d’une lame de rasoir.
L’éboutage se matérialise par le fait de retirer minutieusement, à l’aide d’une pince à épiler les brisures de fils à l’arrière de la dentelle détachée du parchemin.
Le luchage (ou affiquage) enfin correspond à l’étape de repassage à froid des « remplis » à l’aide d’une patte de homard.
Ce travail remarquable nécessite un temps d’exécution qui signe aussi la singularité de cette technique. En effet, il faut en moyenne sept heures à la dentellière pour exécuter un cm² de dentelle. Aujourd’hui, seules sept d’entre elles maîtrisent toutes les étapes de la réalisation de la dentelle au Point d’Alençon. Chacune protège ce savoir-faire d’excellence français au sein de l’Atelier conservatoire national de dentelle et de broderie d’Alençon, tout en ayant à cœur de le transmettre, afin que cet héritage ancestral continue à éblouir les générations à venir.
En même temps, le Mobilier national a peu à peu orienté cet atelier d’exception vers la création contemporaine. Il est ainsi devenu un lieu où des artistes cultivent et expriment leur créativité avec virtuosité. Et ce sont les dentellières qui vont, par leur savoir-faire, transposer en langage technique l’émanation poétique et la sensibilité d’artistes contemporains pour aboutir à la naissance de pièces sublimes.
« Les jardins suspendus de Zenga », un voyage extraordinaire dans un monde étonnant et rare.
Si le musée des Beaux-arts et de la Dentelle sert d’écrin à un patrimoine dentellier exceptionnel, il organise également des expositions temporaires de toute beauté comme ce fut le cas en 2021 avec « Entre les fils », exposition qui permit à cinq artistes de dévoiler au public leur interprétation du point d’Alençon au travers d’œuvres uniques.
Cette année, le musée met à l’honneur trente-quatre toiles de la plasticienne Zenga (Guilaine Agnez), créées à partir des matériaux de prédilection de l’artiste orléanaise (la soie sauvage et la dentelle). Avec cette exposition promenade, le visiteur est invité à déambuler entre des œuvres aussi surprenantes qu’envoûtantes.
Dès la première salle, les jardins de minuit offrent une plongée saisissante dans l’univers artistique de Zenga : De ses toiles tout en longueur émergent des plantes, des arbres, et tout un univers végétal luxuriant qui semble éclairé par le globe satiné d’une lune se reflétant dans les larmes pâles d’une fontaine, dont on n’entend que le clapotis et le bruissement des gouttes d’eau.
Le visiteur est d’emblée plongé dans un environnement évoquant les jardins orientaux où tous ses sens sont mis en éveil : l’obscurité de la salle amplifie le chant d’oiseaux et le bruissement de l’eau qui jaillit de la fontaine, tout comme l’odeur de jasmin qui invitent à l’apaisement et à la sérénité.
L’émerveillement se poursuit dans la lumineuse seconde salle, celle des jardins de midi.
Les toiles, comme autant de jardins suspendus, ornent les murs ou « flottent » dans l’espace, oscillant doucement au passage du visiteur, la lumière jouant avec la soie chatoyante, donnant à celle-ci des reflets emprunts de douceur.
La fluidité de la soie, sa brillance et ses reflets irisés sont sublimés par l’assemblage, la juxtaposition ou la superposition de dentelles délicatement découpées, aussi variées par leurs origines que par leurs couleurs ou leur texture, et patiemment appliquées sur le support.
L’univers figuratif mais néanmoins poétique et irréel né de ce travail de fourmi caresse notre regard et invite chacun à se raconter des histoires, ou à s’immerger dans des rêves proches parfois (et pourquoi pas !) des contes des mille et une nuits, ou des récits mythiques de la route de la soie.
Une fois passée la vague d’émotions qui traverse le promeneur flânant dans ces jardins merveilleux, ce passant, curieux, s’approche des toiles, découvrant alors un autre univers, celui du détail et de la minutie à l’origine de ces créations fantastiques.
Le motif magistral de chacune des œuvres est en effet constitué à partir de l’assemblage de centaines de pièces de dentelles de toutes tailles, répétitives ou pas, mais toujours minutieusement découpées. C’est la juxtaposition de ces motifs réguliers, revisités, reconstruits et judicieusement réassemblés qui donne à l’ensemble de l’œuvre sa force et sa vitalité.
Du rapprochement et de la combinaison de pièces qui à l’origine n’avaient pas vocation à se rencontrer, émerge peu à peu un paysage qui prend vie, surprend ou intrigue, grâce au dialogue qui se noue entre la matière, les motifs, les couleurs, les textures ainsi que la soie sur laquelle sont apposées dentelles, fils d’or et d’argent, perles, tubes et paillettes (ou pas).
Si par le biais de ces tentures flamboyantes et tellement vivantes le désir de Zenga était de créer un dialogue entre les matières, capable d’entraîner le visiteur dans un dédale de jardins aux caractères aussi riches que variés et aussi délicats qu’enchanteurs, l’objectif est pleinement atteint.
Pour aller plus loin…
Si vous passez à Alençon, n’hésitez-pas à visiter son musée:
https://museedentelle.cu-alencon.fr/
Merci à Zenga de m’avoir autorisée à parler de son merveilleux travail dans cet article. Allez voir les photos de ses créations sur son site et sur les réseaux sociaux: