Si pour certains le découpage sur papier reste en marge du monde de l’art, voire même évoque uniquement certaines activités de bricolage pour enfants, le raffinement et la variété de certaines œuvres, tant traditionnelles que contemporaines nous fascinent tous.
La réalité de cet art complexe remonte à plus d’un millénaire, traversant les âges, les cultures et les continents. De plus en plus popularisé par le milieu du street art, mais également par des créateurs de tous horizons, le papier découpé, nouvelle star des galeries d’art et des vitrines de luxe se sculpte et prend du volume. En alliant délicatesse et minutie extrême, l’artiste transforme avec patience une matière commune en pièces d’une qualité ornementale et visuelle d’une complexité inouïe. Sous les ciseaux de l’artiste, le papier n’est plus un simple support plan : il se sculpte, prend de l’ampleur et de la force, se mue en une matière arachnéenne, créant des sculptures aussi poétiques que raffinées.
Papier découpé : L’histoire d’un art populaire multiforme
La matière étant fragile, il reste peu de traces des papiers découpés les plus anciens. La technique semble cependant être née en Chine au VIème siècle, pays où elle représente encore aujourd’hui un art populaire fondamental, inscrit depuis 2009 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Cet art était à l’origine essentiellement féminin et traditionnellement transmis de mère en fille au cours d’un long apprentissage et les jeunes mariées étaient souvent jugées sur leurs capacités à maîtriser toutes les subtilités du découpage de papier. Par contre, les artistes professionnels étaient des hommes.
Entre le VIIème et le XIIIème siècle, les œuvres de papier découpé prennent une place primordiale, en particulier pendant la célébration des fêtes chinoises. Et c’est au cours du XIVème siècle que cet art va se propager au reste du monde.
L’emploi des papiers découpés était multiple : rituels funéraires, mais aussi expression de vœux de prospérité ou de santé, sans oublier l’intention décorative et esthétique qui perdure aujourd’hui. En effet, cet art, qui connaît aujourd’hui en Chine un regain d’intérêt sans précédent, permet à l’artiste d’exprimer ses principes moraux, ses idéaux esthétiques ou ses émotions.
Les papiers découpés chinois sont traditionnellement confectionnés dans du papier de riz rouge, qui symbolise culturellement la chance, la prospérité, la joie et la bonne fortune.
Un art présent sur tous les continents
On retrouve des œuvres en papier découpé dans toutes les régions du monde. Il s’y est développé dans des styles différents et reflète la culture et les coutumes du pays où il est pratiqué : arts délicats japonais du kirigami et du kirié qui transforment le papier en dentelle, papel picado mexicain (guirlande traditionnelle faite de papiers découpés aux couleurs vives et principalement utilisée pour égayer les autels des morts), Kaati turc qui sculpte, découpe, ajoure le papier depuis le XVIème siècle.
Dans l’Empire Ottoman, le découpage de papier était pratiqué à la cour de Constantinople où il fut porté au niveau d’art à part entière. Des motifs faits de papiers découpés ornaient en particulier les textes calligraphiés avant que les feuillets soient reliés sous la forme d’albums précieux.
Et c’est à la faveur des échanges commerciaux entre Orient et Europe que l’art du papier découpé se développe dans plusieurs parties de notre continent, via les Balkans, de façon à la fois simultanée et indépendante. Ainsi, les pièces les plus anciennes ont-elles été découvertes en Allemagne, en Espagne et en Belgique.
Les débuts de l’art du découpage en Europe
A partir de la fin du XVème siècle, les découpages illustrent autant des sujets profanes que religieux. Les premières images à décor de dentelle, appelées canivets, apparaissent vers la fin du XVIIème siècle en Hollande, pour disparaître deux siècles plus tard. Ces petites images pieuses sont pour la plupart réalisées dans les couvents, et donc anonymes. A l’origine, seules les marges des images étaient ornées de ces délicats découpages. Mais petit à petit, les bordures s’élargissent, ne laissant qu’une place infime à l’illustration.
Les motifs décoratifs utilisés sont très variés, influencés par les critères esthétiques du baroque tardif : végétaux, arabesques, spirales. Aucune forme ou motif ne résiste à l’habileté et à la patience des religieuses, qui utilisent des modèles qu’elles modifient et interprètent sans fin.
Ces réalisations nécessitent déjà un outillage spécifique comme des canifs bien aiguisés pour le découpage ou des aiguilles pour perforer le papier. Une fois la phase de découpage terminée, certaines zones du canivet pouvaient être rehaussées de couleurs. Puis le cartouche était aquarellé, et le dos de l’image recouvert de papier marbré ou de papier brocart.
Le commerce des canivets restera longtemps florissant, les images étant offertes à des amis, des parents, à l’occasion d’une première communion ou de fêtes religieuses.
Pour ce qui est des créations profanes, en Allemagne, en Suisse, en Hollande, les femmes de la haute société réalisent à la même époque des œuvres magnifiques où leurs armoiries trônent au centre des images. Et c’est au milieu du XVIIIème siècle qu’apparaît en Suisse un nouveau genre artistique qui consiste à créer des tableaux en découpant dans du papier blanc des paysages, des arbres ou des animaux. Ces « tableaux en découpures » obtiennent un franc succès au-delà des frontières de Genève, ville natale de Jean Huber, inventeur de la technique.
Simultanément naît en Allemagne l’art de la silhouette, qui consiste à découper un visage, puis des scènes de la vie de famille comportant plusieurs personnages. Le besoin de perpétuer le souvenir d’une personne à laquelle on est attaché fera de cet art particulier, jusqu’à l’avènement de la photographie, le moyen le plus souvent utilisé pour offrir le souvenir d’une personne, d’un lieu ou d’un évènement particulier à ses proches.
Au début du XIXème siècle, l’art du découpage quitte définitivement les couvents et les villes pour s’implanter dans les campagnes. Les artistes utilisent alors les motifs traditionnels empruntés à l’art populaire pour créer des pièces de toute beauté. Ainsi, un thème considéré aujourd’hui comme typiquement suisse, et datant de cette période, représente la montée de vaches à l’alpage par des sentiers en lacets.
L’art contemporain du papier découpé
Quel qu’en soit le thème, l’art du papier découpé, merveille de finesse et d’élégance, a su se réinventer au cours du XXème siècle, grâce au travail de nombreux artistes comme Eva Brenner, influencée par les broderies réalisées dans sa jeunesse et qui réinterprète au mi-temps du siècle dernier l’art de la découpe.
De grands génies, dans une autre approche s’emparent également de cette technique pour servir leur art : Henri Matisse, mais aussi Georges Braque, Pablo Picasso et bien sûr le mouvement Dada qui bouleversera les arts du siècle dernier dans de nombreux domaines.
Si les artistes suisses de la fin du XXème siècle continuent à représenter, comme leurs ancêtres, des paysages dans lesquels les arbres demeurent des éléments clé, leur travail efface les traces de la modernité qui atteint les campagnes (Ursula Schenk, Vera Kaüfeler), pour nous donner à admirer des œuvres bucoliques emplies de calme et de sérénité.
Et alors que l’art des portraits et des silhouettes est passé de mode depuis longtemps, des artistes comme Annemarie Maag, ont continué à pratiquer la découpe à main levée, allant jusqu’à utiliser leur savoir-faire comme arme politique.
Aujourd’hui, un art qui a le vent en poupe
L’art du papier découpé est aujourd’hui bien vivant dans de nombreuses parties du monde, et ce savoir-faire millénaire se confronte plus que jamais à l’imagination d’artistes contemporains qui, comme leurs prédécesseurs au cours des siècles, cherchent à en rénover l’expression. Au travers de tendances très différentes et de nouvelles approches, le découpage contemporain ouvre en effet la porte à une gamme infinie de styles et de genres.
Ainsi en est-il du Vytynanka, art décoratif populaire qui apparaît entre les XVème et XVIème siècle en Ukraine et que les maîtresses de maison pratiquaient pour créer des rideaux en papier pour les grandes occasions ou fêtes. Aujourd’hui, des artistes comme Daria Alyoshkina perpétuent avec talent et virtuosité cette tradition oubliée pour la transformer en un art d’une modernité étourdissante.
D’autres artistes, avec une précision d’orfèvre transforment avec minutie le papier pour ciseler leurs rêves et faire émerger sous leurs doigts leur propre vision du monde.
Grâce à la maîtrise incroyable d’une technique ancestrale, s’aidant seulement d’une lame affinée et d’un crayon, ces créateurs au talent prodigieux tracent avec une minutie infinie des lignes, des volutes et des courbes, faisant émerger d’une simple feuille de papier des chevelures, des feuillages ou les délicats pétales d’une fleur.
Leurs réalisations, ahurissantes de finesse et de délicatesse, à la fois foisonnantes, envoutantes ou au contraire dépouillées et aériennes, sont à mi-chemin entre l’ancrage ancestral et universel dont ces artistes sont les justes dépositaires et la fenêtre ouverte sur un univers invitant à la poésie et à la fantaisie.
Pour aller plus loin…
Cet article n’aurait pu être réalisé sans l’accueil et la gentillesse d’artistes de grand talent qui m’ont autorisée à utiliser certaines photographies de leur fabuleux travail, tout en finesse et en créativité. N’hésitez pas à retrouver leurs œuvres sur leurs sites:
Marie-Laure beung: https://www.beunmarie-laure.com/
Eric Lacan: https://www.instagram.com/eric_lacan/?h
Daria Alyoshkina: https://www.instagram.com/daria_alyoshkina/
Bibliographie:
Un livre incontournable: L’art du papier découpé. Cinq siècles d’histoire. Félicita Oehler/ Ed. Ides et Calendes
Merci pour ce texte enrichissant. J ai vu a la télévision en Alsace pendant Noël, Mme Michele Wagner qui poursuit l art du canivet. J ai été éblouie, j ai pu me procurer son livre Papiers Découpés et je commence modestement à découper…..
Bonsoir,
Merci pour ce retour. Je suis enchantée que cet article vous aie plu. Je vous souhaite de prendre beaucoup de plaisir à vous initier à cet art si délicat. Catherine