Artisan d’art tisserand, tisseur de rêves et d’harmonie

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  • Publication publiée :8 janvier 2023
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Le tissage, une aventure plurimillénaire

Le tissage, généralement réalisé sur un métier, correspond à une technique de production de textile, dans laquelle deux ensembles distincts de fils sont entrelacés à angle droit pour former un tissu.

Son invention remonte à l’ère paléolithique (ou ère de la pierre taillée), c’est-à-dire bien avant même la sédentarisation de l’homme. Les ouvrages tissés correspondaient alors à un besoin fondamental de ces chasseurs-cueilleurs : le transport de leurs affaires. En effet, si ces nomades étaient généralement vêtus de peaux de bêtes, ils conservaient avec eux les outils nécessaires à leur survie. C’est pourquoi, leurs diverses activités nécessitant d’avoir les deux mains libres, ils apprirent à confectionner et à assembler de petites bandes tissées en fonction de la végétation poussant dans la région traversée pour confectionner des sacs, plus légers que leurs homologues en cuir.

Les vestiges textiles de cette époque sont rares. Cependant, les archéologues ont retrouvé des tissus façonnés au cours de la période Néolithique et incontestablement produits sur des métiers à tisser.

Tissu conservé dans les mines de sel de Halsttat(All) âge du fer Otzi/ époque néolithique

Et c’est aux alentours du IVème millénaire av. JC que sera inventé en Mésopotamie le métier à tisser vertical. Le système, lesté au moyen de pesons en terre cuite, permet une technique de tissage qui s’effectue du haut vers le bas. Le fil est quant à lui tassé à l’aide d’un couteau en bois du bas vers le haut. Ce métier présente cependant un inconvénient : sa hauteur ne permet pas d’obtenir une chaîne longue, limitant par conséquent la dimension des tissus confectionnés.

Les fouilles archéologiques permettent d’affirmer qu’aux alentours de 2000 ans av. JC., la Mésopotamie possédait de grandes filatures à l’activité très hiérarchisée. Pour exemple, la ville de Lagash (au sud de l’Irak actuel) a pu compter jusqu’à 6400 tisserands.

Métier à tisser vertical/ Néolithique

Un vêtement en tissu représentait alors un signe extérieur de richesse car l’activité de tissage nécessitait main d’œuvre, temps et maîtrise d’un véritable savoir-faire technique.

Durant l’Antiquité, l’activité de tissage en Grèce antique est principalement féminine, ce qui n’est pas le cas en Egypte. Les tisserands égyptiens, tous masculins, utilisent déjà des métiers horizontaux, qui ne seront introduits en Europe qu’au Moyen-âge.

En Grèce, les métiers à tisser sont installés chez les particuliers. Placée sous la protection de la déesse Athéna, Cette activité fait également l’objet d’un contrôle partiel de la part de l’État qui lève sur elle un impôt.

Au Moyen âge, des techniques en pleine évolution 

Au Moyen âge, la production artisanale du textile s’intègre à un commerce au-delà des frontières de l’Europe. Entre le Xe et le XIVe siècle, le tissage profite d’améliorations techniques comme l’apparition du métier à tisser horizontal à marches. Ce dernier, qui fonctionne grâce à un jeu de pédales entraînant le mouvement des lices, accélère nettement la vitesse de production.

Le travail du textile se pratique alors aussi bien dans les ateliers urbains que de manière individuelle dans les campagnes. Et si le filage reste alors une pratique exclusivement réservée aux femmes, le tissage, tout comme dans l’Égypte ancienne, est une spécificité masculine que les compagnons et apprentis tisserands exercent sous la direction d’un maître.

Cardage et tissage au Moyen-Âge

La laine reste la matière la plus employée, suivie par le lin, le chanvre, mais également la soie et le coton. Les lainages proviennent alors des manufactures du nord. Les étamines, les serges, les tiretaines (drap tissé grossièrement, moitié laine, moitié fil) et les droguets (sorte de drap peu épais, tout laine ou demi-laine) sont souvent importés d’Italie.

Le perfectionnement des processus permet la confection de nouveaux tissus comme le haberget ou sergé losangé, tissu à la mode parmi les élites militaires, qui du fait de son motif diamant, rappelle le haubert, chemise de mailles à manches et à capuchon, que portaient les hommes d’armes au Moyen Âge.  

Reconstitution de Haberget

Jusqu’au XIIème siècle, l’usage de la soie dans le costume français est issu du commerce pratiqué avec l’Orient. Ce sont les Croisades (1095 – 1291) qui font découvrir à l’Europe de nouvelles soieries. Leur finesse, liée à l’éclat des coloris et des riches ornementations, est très prisée par les classes favorisées. A partir du XIIIème siècle, la soie commencera à être fabriquée en Italie et en France et des motifs occidentaux, religieux ou profanes se substitueront à ceux des pays orientaux.

musée de Cluny – musée national du Moyen Âge/Paris/Photo Franck Raux

Le XVIIIème siècle et l’invention des premiers métiers à tisser automatisés

Au XVIIIe siècle en Europe, les tisserands travaillent sur des métiers de plus en plus complexes. En France, plusieurs étapes vont en deux décennies révolutionner l’outil et son usage :

En 1725, Basile Bouchon, tisserand lyonnais, invente une machine programmable, dont le mécanisme utilise un ruban de papier perforé qui contrôle le passage des aiguilles dans le tissu.

Trois ans plus tard, son assistant Jean-Baptiste Falcon améliore cette invention en remplaçant le ruban par une série de cartes perforées reliées entre elles, et en multipliant le nombre d’aiguilles.

En 1745, le mécanicien français Jacques de Vaucanson, célèbre pour ses prestigieux automates, reprend l’idée de Falcon et perfectionne les métiers à cartes perforées encore tributaires de l’intervention humaine : En remplaçant ruban et cartes perforées par un cylindre métallique percé de trous, il parfait l’automatisation complète du processus. Mais précurseur malheureux apparu trop tôt dans l’histoire des techniques, ce métier à tisser novateur ne connaîtra aucune application industrielle.

Reproduction du métier à tisser de Basile Bouchon/Musée des arts et métiers, Paris/Photographie Dogcow

De l’autre côté de la Manche l’inventeur anglais Richard Arkwright n’est pas en reste puisqu’il dépose en 1769 le brevet de la première machine à tisser automatique. Connue sous le nom de « water frame », elle est constituée par un métier à tisser hydraulique qui simplifie le travail en remplaçant l’action des mains par celle de cylindres en métal, délivrant ainsi les ouvriers de tâches laborieuses et répétitives.

Cette innovation, rendue possible par l’utilisation de la vapeur comme force motrice, révolutionne la fabrication du tissu.

Métier à tisser Richard Arkwright/ 1775

Le XIXème siècle et l’avènement du métier à tisser automatisé

C’est cependant en 1801 que le domaine du tissage connaît une évolution technique décisive, avec l’invention du métier Jacquard par Joseph Marie Jacquard à Lyon. Fils d’un maître-fabricant en soie brochée lyonnais, ce touche à tout met au point une machine révolutionnaire reposant sur deux principes : Premièrement un mécanisme levant automatiquement les fils ; deuxièmement un code binaire de cartes perforées qui permet de sélectionner automatiquement les fils de chaîne : Là où le carton est perforé, le fil se soulève, là où il ne l’est pas, le fil ne bouge pas. Ce système inédit permet ainsi de former tous types de motifs tissés, même très complexes,

Dès lors, le métier à tisser pourra être manœuvré par un seul ouvrier qui sera en capacité de tisser 15 cm par jour, là où jusqu’à présent 8 à 10 personnes étaient nécessaires pour fabriquer 2 à 3 cm de tissu quotidiens.

Cette automatisation de la production aura comme conséquence directe la mise au chômage de centaines d’ouvriers. S’en suivra la révolte des Canuts qui enflammera la ville de Lyon en 1831 puis en 1834, les ouvriers désespérés s’en prenant notamment aux métiers Jacquard qu’ils jetteront en nombre dans le Rhône.

En 1805, Joseph-Marie Jacquart présente son métier à tisser à Napoléon Bonaparte

Une activité tournée vers l’avenir

Tout au long du XIXe siècle, les innovations techniques se succèdent et le métier mécanique ne cesse de se perfectionner : apparition de la machine à vapeur, remplacée progressivement par l’électricité, puis invention du métier à projectile à jet d’air puis à jet d’eau. Le métier à jet d’air est une technique fonctionnant à partir d’un système d’air sous pression injecté qui véhicule la trame d’une lisière à l’autre. Le principe du jet d’eau est le même, l’eau remplaçant l’air.

Ces inventions techniques décuplent le rendement des métiers et le rythme de production. Dès lors on ne parle plus de manufactures textiles mais d’usines.

Mais la nouveauté en matière de tissage ne concerne pas que les métiers :  de plus en plus, la recherche s’intéresse à l’utilisation de matériaux surprenants pour produire des fibres aux applications révolutionnaires : alliance de fibres de carbone et de céramique pour une application dans le domaine spatial, tissage de tissus techniques à partir de bouteilles en plastique recyclées, tissage de fibres optiques pour des applications lumière dans les domaines du médical, de l’automobile, de la sécurité, de la communication ou de l’architecture, etc.

Et pourtant, même si les entrelacements des fils sur les métiers industriels sont programmés informatiquement, même si les fibres s’éloignent parfois complètement des matières traditionnelles, le principe même du tissage reste immuable depuis le néolithique.

Manufacture Guiffray/ Vienne

Le tissage, un artisanat d’art reconnu

Toutes les cultures connaissent et pratiquent le tissage, et au fil du temps chaque peuple a inventé et développé son métier, du plus rudimentaire au plus sophistiqué.

Pour résumer, on peut dire qu’il en existe de deux types : les métiers verticaux (ou de haute lice) tels que les utilisaient déjà les vikings, ou grâce auxquels les femmes berbères créent des tapis, véritables œuvres d’art au travers d’un savoir-faire unique qui se transmet de mère en fille. Les métiers horizontaux avec système de pédales comme les métiers de basse lice sur lesquels sont produits les tentures et tapisseries d’Aubusson. Mais également les métiers à bras, à cadres et pédales, que les artisans tisserands utilisent pour confectionner des pièces uniques, tout à la fois ancrées dans un savoir-faire traditionnel et adaptées au présent.

En France, le tissage sur métier à tisser manuel (tissage à bras) est une pratique reconnue notamment dans les métiers d’art, puisqu’il apparait dans l’Inventaire de notre patrimoine culturel.

Tapis berbères

Les techniques de tissage

Le processus de tissage commence tout d’abord par le choix des fibres, végétales, animales ou synthétiques qui permettront, en entrelaçant perpendiculairement deux ensembles  de fils, de fabriquer l’ouvrage final : la laine, le mohair ou l’alpaga sont élastiques et douces au toucher ; La soie est moins moelleuse mais présente un aspect à la fois luxueux et brillant ; Le lin, le coton ou le chanvre sont quant à eux froids au toucher et inextensibles, mais ces fibres naturelles donnent un résultat de qualité.

Le travail de tissage se déroule en plusieurs étapes indispensables :

Les fils dans la longueur du tissu sont appelés fils de chaîne.  Ils sont maintenus sous tension sur le métier. Les fils perpendiculaires à la chaîne sont les fils de trame ou de remplissage. Ils passent entre les fils de chaîne et formeront le tissu. L’armure correspond à la séquence d’enchevêtrement entre les fils de chaîne et de trame qui créeront le motif définitif. Larmure peut varier à l’infini ou presque, en fonction du schéma d’entrecroisement des fils de chaîne et de trame.

Il existe cependant trois armures textiles de base, à partir desquelles pourront ensuite est construites de nombreuses combinaisons, appelée armures dérivées :
Toile, Sergé, Satin.

L’armure toile (appelé aussi tissage simple ou uni) est l’armure la plus ancienne et la plus simple. Elle est obtenue en insérant les fils de trame alternés sur les fils de chaîne. Le résultat donne un tissu aux côtés recto et verso identiques. Pour exemple, on peut citer le crêpe de Chine, le taffetas, l’organza, le drap ou la mousseline.

L’armure sergé se caractérise par des côtes obliques et régulières sur l’endroit.  Les tissus réalisés sont souples, même lorsqu’ils sont réalisés avec des fils lourds comme la laine, et les matières confectionnées selon cette technique se nomment moleskine, denim, loden, tweed ou gabardine.

L’armure satin donne lieu à des points espacés et régulièrement répartis. Ce tissage offre d’excellents résultats lorsqu’il est pratiqué à partir de fils soyeux, rendant les tissus lisses et uniformes, dont des noms chatouillent l’imagination :  satin, duchesse, damas, brocart, lampas.

Schéma des trois armures de base

La préparation du métier à tisser, école de patience et de précision

Métier à tisser horizontal

Le montage du travail commence par l’ourdissage, qui consiste à préparer les fils de chaine en les enroulant parallèlement entre eux par portées, dans l’ordre qu’ils occuperont dans l’étoffe, puis en les enfilant un par un dans le peigne avant de les nouer selon une technique bien définie. Ces fils formeront dès lors une « nappe » de la largeur voulue par l’artisan tisserand, et constitueront en quelque sorte la réserve qui se déroulera au fur et à mesure que le tissage avancera.

La longue préparation du métier terminée, le tissage peut commencer, suivant un procédé immuable : Grâce au savoir-faire du tisserand, les fils de trame croiseront perpendiculairement les fils de chaine. Le tout sera ensuite resserré par le peigne. Petit à petit, avec patience, le tissu naîtra sous les mains habiles de l’artisan, avant d’être parachevé par les finitions des fils de chaine qui vont l’embellir de touches décoratives : nœuds simples, tresses, cordelettes, …

Tisserande au travail
http://www.grainedefil.fr/

Artisan d’art tisserand : un métier rare, menacé, mais toujours en mouvement

En France, les derniers grands ateliers de tissage ayant définitivement fermé leurs portes dans les années 1960, seuls subsistent des artisans tisserands indépendants. On en recense actuellement une soixantaine qui sauvegardent et transmettent leur savoir-faire.

Ils sont surtout installés dans les régions où la tradition textile est restée vivante : Rhône-Alpes, Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais, Limousin, Aquitaine, Bretagne, Alsace et Lorraine. Selon le type de fibres utilisées et la pièce réalisée, le tisserand à bras réalise en moyenne quatre mètres de tissu en 10 heures de travail.

Si les gestes répétitifs et les postures corporelles indispensables à cette activité demandent une bonne condition physique et une maîtrise hautement technique du métier, les tisserands sont également des artisans d’une patience sans fin, créatifs, habiles et minutieux. Un véritable sens artistique les habite, qui leur permet d’entrecroiser matières et couleurs, et de créer pour notre plus grand bonheur des textiles aux nuances tellement harmonieuses qu’elles s’apparentent parfois au spectacle merveilleux des arc-en ciel.

La majorité de ces tisserands travaille à leur compte. Leur production est variée et orientée vers des secteurs comme le linge de maison, l’habillement ou la décoration intérieure. D’autres mettent leur savoir-faire au service de la restauration textile, mais également des secteurs de la mode et du luxe.

Restauration d’un tapis d’Asie centrale, chaînage/
https://www.artstextilesgirard.com/

Certains mettent leur sensibilité au service d’une créativité au résultats étourdissants. Ainsi, Zoé Montagu, artisan d’art spécialisée dans le travail des matériaux les plus fins, a-t-elle osé détourner les techniques du tissage et de la vannerie pour imaginer et créer des bijoux d’une originalité inégalée, tissés à partir de crin de cheval.

Zoé Montagu: Tissage d’un bijou à partir de crin de cheval https://zoemontagu.com/

D’autres s’orientent dans une voie purement artistique, cherchant l’innovation dans leur pratique. Ainsi en est-il de l’artiste textile péruvienne Ana Teresa Barboza qui, initialement formée à la peinture, mêle aujourd’hui dans ses créations différentes disciplines comme la broderie, le dessin, la photographie, la tapisserie d’Aubusson et le tissage. Tout ceci dans un univers complexe où ses différents savoir-faire se télescopent aux traditions textiles de son pays. Les techniques de tissage qu’elle emploie s’imprègnent du paysage ; les fils qui composent ses œuvres sont faits de fibres animales et végétales et teints avec des colorants naturels, nous offrant des créations absolument incroyables.

Ana Teresa Barboza
Tissage sur métier à tisser avec laine de mouton et d’alpaga teintes aux colorants naturels.
Broderie sur photographie numérique sur papier coton. / 2019

https://www.instagram.com/anateresa.barbozagubo/?hl=fr

En France, l’artiste designer Violaine Buet explore sur son métier à tisser les possibilités textiles des algues qu’elle ennoblit.  Elle teint, tisse et coud cette matière brute, explorant au travers de son art de surprenantes applications artistiques dans les domaines des arts-vivants, de la scénographie, de la haute- couture, de l’objet et de la décoration, créant des pièces textiles alguées biodégradables, pour un résultat aussi inédit que révolutionnaire

Tissage d’algues
https://violainebuet.com/

Ainsi, l’art du tissage, né à l’aube de l’Humanité continue aujourd’hui à nous faire rêver, grâce au talent incontestable des artisans d’art tisserands, trait d’union entre un héritage millénaire et les générations futures.  S’ils ont su au cours des siècles préserver les traditions de ce savoir-faire, ils ont également réussi à se renouveler, pour faire vivre et ouvrir cet artisanat aussi riche que varié à notre monde contemporain.

Des deux pieds battant mon métier,
Je tisse, et ma navette passe,
Elle siffle, passe et repasse,
Et je crois entendre crier
Une hirondelle dans l’espace.

(Pierre Dupont/ Le Tisserand)

Pour aller plus loin…

Merci à Ingrid Bret, Zoé Montagu et Violaine Buet pour l’autorisation d’utiliser certaines de leurs photographies .

Vous retrouverez le travail d’Ingrid Bret et ses offres de stages sur son site: http://www.grainedefil.fr/

N’hésitez pas à visiter le site de Vilaine Buet pour découvrir ses fabuleuses créations : https://violainebuet.com

Pour découvrir les créations de Zoé Montagu, rendez-vous sur son site https://zoemontagu.com/

Retrouvez également les créations de Catherine Jouvin sur son site https://ateliertiretaine.wixsite.com/atelier-tiretaine

Bibliographie:

Le tissu créatif/ Sarah Howard et Elisabeth Kendrick/ LTA Arts du fil

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