L’or, poussière d’étoile
Depuis l’aube de l’humanité, l’or fascine les esprits. D’un éclat rivalisant avec les rayons du soleil, inaltérable à l’air, résistant à presque tous les acides, il semble défier les hommes et le temps.
Selon le philosophe grec Posidonius, l’or, confiné dans les profondeurs de la terre, serait apparu à sa surface sous la forme de ruisseaux incandescents nés de l’embrasement des forêts. Ce mythe du feu et de l’or est cependant battu en brèche par les dernières théories scientifiques qui font remonter son origine à quatre milliards d’années : La formation de l’or ne serait pas terrestre mais le résultat, soit d’une catastrophe cosmique due à la collision entre deux étoiles à neutrons, soit de l’explosion d’une supernova (ensemble des phénomènes résultant de l’implosion d’une étoile en fin de vie).
Les origines
Ses qualités exceptionnelles ainsi que son invariabilité font que l’or est associé depuis toujours à la puissance, au divin, au culte des Héros et à l’Éternité. L’or serait ainsi la lumière qui fait reculer la nuit autour de nous !
La dorure telle que nous la connaissons aujourd’hui est apparue durant le premier siècle avant notre ère. Auparavant, il s’agissait plutôt de placage sur un support, la mise en forme étant faite directement sur celui-ci par martèlement. C’est ainsi que dès le quatrième siècle avant J.C, l’or, symbole du dieu soleil, est utilisé en Égypte pour magnifier les sépultures des pharaons. Les mayas feront de même concernant leurs divinités.
Plus tard, ces mêmes égyptiens mettront au point les techniques du battage et de la frappe de l’or, ainsi que la dorure à la feuille, qu’ils utiliseront pour orner chapiteaux et sarcophages.
Selon la Bible,le roi Salomon construisit au Xème siècle avant notre ère un Temple splendide à Jérusalem dont la façade aurait été tapissée de feuilles d’or. Puis les grecs et les Romains adoptent la technique pour recouvrir leurs idoles, avant de l’utiliser pour dorer les plafonds de leurs temples et palais.
Le rayonnement mystique de l’or est tel que l’Église ne put y résister elle non plus : Dès le IIème siècle, intimement lié aux œuvres liturgiques, on le retrouve dans la religion chrétienne, magnifiant les icônes considérées comme le trait d’union entre le monde divin et le monde terrestre.
Le métal précieux sera également utilisé dès le VIIème siècle pour orner les manuscrits. Ainsi en est-il de l’Evangéliaire de Godescalc, entièrement écrit en lettre d’or sur parchemin pourpre, offert entre 781 et 783 à Charlemagne.
L’or du Grand Siècle
Au fil du temps, le travail de l’or en lien avec la sphère religieuse sera petit à petit délaissé au profit d’un esthétisme décoratif. Son association avec la représentation que les hommes se font de la puissance et de la royauté amènera Louis XIV à utiliser abondamment le précieux métal pour affermir sa souveraineté et affirmer sa puissance. C’est ainsi que l’histoire du bois doré naît en France au XVIIème siècle, le Roi Soleil faisant couvrir de feuilles d’or les meubles, lambris, grilles, fontaines et façades du château de Versailles.
Cette mode lancée par le souverain conduira à démocratiser le métier de doreur, puisque nobles et bourgeois, dans le sillage du monarque, se prirent de passion pour les objets et meubles dorés, des fauteuils aux consoles, en passant par les baromètres ou les miroirs.
Les artisans doreurs sont rattachés à l’Académie royale de peinture et de sculpture créée sous Mazarin, et réorganisée par Colbert en 1663. Placés sous protection royale, ils portent généralement le double titre de « peintre et doreur des bâtiments du roi », jouissent des commandes royales et des membres de la cour, voire d’une rente et d’une protection royale.
Le style rocaille, un art de vivre
L’arrivée au pouvoir de Louis XV marque un tournant dans l’histoire politique et culturelle de la France. Paris redevient le centre artistique français par excellence. Le décor n’est plus un emblème mais se transforme en une marque de luxe individuel au service d’intérieurs raffinés, très confortables et décorés de meubles de petite taille.
Le style rocaille se caractérise par le triomphe de la ligne courbe et la profusion exubérante de motifs s’inspirant des lignes de la nature : volutes, coquillages, éléments géologiques, végétaux et floraux.
Face au renouvellement de l’art décoratif, les ébénistes, fondeurs ciseleurs et autres artisans collaborent pour offrir des pièces d’exception. Cependant, les artisans peintre doreurs sont les seuls autorisés à appliquer des feuilles d’or sur les meubles.
Et plus tard…
Les siècles suivants verront perdurer l’art de la dorure sur bois. Celui-ci accompagnera tant le style géométrique Louis XVI que le style 1er Empire, avant de subir une éclipse jusqu’à la seconde moitié du XIXème siècle où les goûts éclectiques de l’époque, en réinterprétant les modes passées, maintiendront la tradition de la dorure.
Du XXème siècle à aujourd’hui
Comme ce fut le cas pour de nombreux métiers d’art, les guerres mondiales ont contribué à la disparition progressive de celui de doreur. Heureusement, dans les années 1950, la création du groupement français des entreprises de restauration des Monuments historiques, en fédérant les différents intervenants de la restauration du patrimoine, permet la renaissance et la sauvegarde du savoir-faire des artisans doreurs. Ainsi, aujourd’hui, gage d’un savoir-faire d’exception, ils sont les seuls habilités par les Musées de France à pouvoir intervenir sur les œuvres du patrimoine.
Si à l’apogée de la dorure Paris a compté jusqu’à 5000 doreurs, le métier n’est exercé aujourd’hui en France que par cent à deux cents passionnés chevronnés. Cependant, ces artisans d’art possèdent plus d’une flèche à leur arc, partageant leur expertise et leur savoir-faire entre activités de rénovation et de création.
Doreur restaurateur et doreur décorateur
Le métier de doreur appartient au domaine de la décoration. Son périmètre d’intervention est vaste, puisqu’il touche autant à l’encadrement qu’au mobilier, au décor qu’aux boiseries.
Le doreur restaurateur cherche à stopper les dégradations que le temps a fait subir aux pièces qui lui sont confiées. En employant les mêmes matériaux, les mêmes techniques et les mêmes outils qui en ont permis la fabrication, en consolidant l’or de la pièce d’origine, l’artisan d’art respecte l’authenticité de l’objet restauré et lui redonne sa magnificence originelle. Pour ce faire, il doit parfaitement maîtriser des procédés qui sont restés pratiquement les mêmes que ceux utilisés il y a quatre siècles. Il doit également posséder une compréhension fine des autres métiers avec lesquels il devra collaborer. En effet, pouvant tout autant être amené à restaurer du mobilier qu’une pendule, une sculpture ou un miroir, il doit savoir appréhender les savoir-faire des artisans restaurateurs issus d’autres corps de métiers.
La clientèle de l’artisan doreur restaurateur se compose surtout de collectionneurs privés, d’antiquaires et de musées. Il répond également à des commandes publiques pour les Monuments historiques ou le Mobilier national.
Le doreur décorateur, quant à lui est un artisan qui exprime son talent au travers d’une créativité sans cesse renouvelée. Maîtrisant les techniques traditionnelles, il les met au service de l’innovation, faisant dialoguer entre eux supports et matériaux, déposant délicatement l’or sur le métal, le verre, le plâtre ou même les végétaux. Par la magie de ses doigts cet artisan de la lumière et du scintillement nous emporte de surprise en surprise, métamorphosant décors, murs, panneaux, pièces ou accessoires en réceptacles de lumière où le poudroiement du soleil allume des étincelles d’or.
Des techniques différentes et adaptées à tous les supports
La dorure ne se limite pas aux bois sculptés, aux cadres ou aux consoles. Elle détermine en effet une application d’or sur des supports aussi divers que le bois, le métal, le verre ou la céramique. Face à cette diversité, les techniques employées sont nombreuses. Aussi ne sont citées dans cet article que les plus traditionnelles :
La dorure au feu est considérée comme la technique la plus ancienne. Largement utilisée en architecture par la Russie depuis le IXème siècle, la méthode consiste à calciner de l’or à haute teneur dissous dans le mercure jusqu’à évaporation de celui-ci. Les exemples les plus célèbres se trouvent à Saint Pétersbourg où les dômes de la cathédrale Saint-Isaac (1838-1841) et la flèche du clocher de la cathédrale Pierre et Paul ( 1735 et 1744) ont profité de cette technique.
La dorure à la mixtion, connue depuis la Haute Antiquité, était quant à elle employée pour les objets exposés en plein air. La colle, principalement composée d’huile de lin qui résiste bien aux intempéries, fait qu’elle était utilisée tant pour les marbres que pour les dômes.
La dorure à l’eau, également appelée à la détrempe, restera la technique la plus répandue jusqu’au XVIIIème siècle. Appliquée sur le bois ou le métal, elle est destinée à l’embellissement de tous les objets exposés à l’abri des intempéries. Considérée comme la plus belle des dorures, elle permet un rendu exceptionnel grâce au savoir- faire de l’artisan doreur qui, en utilisant des feuilles d’or de plus en plus fines réussit à conserver le naturel de la pièce, tout en la métamorphosant en un objet fascinant.
Minutie, patience et dextérité
Le travail de dorure nécessite une préparation méticuleuse du support et les techniques, sous la forme d’une succession d’étapes aux noms aussi intrigants que « peau de chiennage », “prélage », « matage » ou « ramendage » n’ont pas beaucoup évolué au fil des siècles, tout comme les outils utilisés par les artisans doreurs contemporains. Ainsi, les pinceaux sont-ils toujours en poils d’écureuil, de martre ou de sanglier.
Si certains outils sont génériques comme les brosses, pinceaux, scalpels ou spatules, d’autres sont spécifiques à la dorure : chacun possède un usage bien particulier et une forme spécifique comme le coussin à dorer, les palettes, les fers à reparer ( tige d’acier, recourbée, profilée et affûtée à une extrémité) ou les pierres d’agates, polies et fixées au bout d’un manche en bois.
Même si certains produits sont aujourd’hui issus de la chimie comme les solvants et certains nettoyants, les colles sont naturelles et semblent venir d’un autre âge comme celle de peau de lapin remarquable pour ses qualités d’étanchéité et d’élasticité, qui lui permet de résister au travail naturel du bois.
Les feuilles de métal sont d’or, d’argent, de platine ou de laiton, mais en tout état de cause l’artisan d’art doreur proscrit de sa pratique l’utilisation de vernis ou peintures dorées, indignes de la perpétuation d’un savoir-faire à l’histoire millénaire.
L’artisan d’art doreur, après un long processus de préparation applique le métal sur la surface à dorer. Les feuilles, aussi fines que fragiles, sont déposées une par une sur le support à l’aide d’une palette spécifique. Suivent les étapes finales d’époussetage au pinceau puis de lissage qui vont aplanir et lustrer la dorure. Cette ultime phase, en rehaussant la couleur, révèle tout le brillant de l’or, magnifiant la surface ou l’objet sous nos yeux éblouis.
Qu’il restaure ou qu’il crée, l’artisan d’art doreur se révèle être un enchanteur, qui au travers d’un savoir-faire unique, fait chatoyer les objets, capte la lumière et accroche le regard, nous faisant pénétrer dans un univers aussi lumineux qu’éblouissant.
Pour aller plus loin…
Mes sincères remerciements pour leur accueil chaleureux et le prêt de leurs photographies aux artisans d’art de talent que sont Anne Virgitti, Sophie Blanc et Bernard Toupry, dont vous pouvez suivre le sensationnel travail sur leurs sites internet:
Dorez cadres et objets. Martine Forget. Dessain et Tolra. 2004
Les procédés de dorure , Gilles Perrault – L’estampille l’objet d’art n°212 pages 26 à 31 – mars 1988