Objet de fascination depuis des siècles, ayant connu son apogée avec l’architecture gothique, le vitrail fait naître en nous une atmosphère particulière, emprunte de douceur et de sérénité.
Entre jeux de verre et jeux de lumière, les maîtres d’art verriers vitraillistes contemporains nous ouvrent les portes d’un univers héritier d’un flamboyant passé, en même temps qu’inexorablement tourné vers le monde de demain, entre techniques ancestrales et technologies innovantes.
Aux origines du vitrail : le verre
Selon Pline, les premiers hommes à produire du verre furent des marins phéniciens. L’historien romain raconte que ces derniers, voulant établir leur camp sur une plage près de Belus en Asie Mineure, et ne pouvant trouver de pierres pour constituer leur foyer, utilisèrent des blocs de soude qu’ils transportaient dans leur navire. Avec la chaleur du feu, le sable et la soude se transformèrent en pâte de verre.
Cette anecdote, qui tient plus de la légende que du récit historique, détermine cependant dès cette époque les éléments nécessaires pour fabriquer le verre : chaleur, soude et sable.
Le Haut Moyen Age et la naissance du vitrail
Bien que quelques textes anciens démontrent l’existence de vitraux dès le Ve siècle, il est aujourd’hui encore impossible de dire quand et comment le vitrail s’est distingué des vitres dont les romains garnissaient leurs fenêtres.
Si la découpe de feuilles de verre est confirmée dès le IIIe siècle, c’est un siècle plus tard qu’apparaissent des morceaux de verre assemblés selon des compositions géométriques.
En France, des fragments datés du IVe siècle ont été mis au jour à Saint-Denis. D’autres, datés du siècle suivant, ont été découverts à Marseille et à Tours.
A partir du VIe siècle l’Italie, influencée par Rome se dote de vitraux enchâssés dans des cadres en bois, quelquefois dans des châssis de métal ou sertis dans du plâtre ou du stuc. Dès le VIIe siècle, les églises européennes d’Occident adoptent à leur tour massivement cette nouvelle mode.
Puis, progressivement, à partir du Xe siècle, le vitrail au plomb, plus souple et plus malléable, va s’imposer en Occident.
N’utilisant alors que le gris, le brun et le noir, ces vitraux restent sombres et ne sont employés que pour souligner les ombres ou dessiner les draperies de personnages.
La plupart n’ont pas résisté aux dégradations du temps, et il n’en subsiste que des fragments dans quelques édifices français comme la cathédrale Saint-Bénigne de Dijon ou celle de Beauvais.
Les plus anciens vitraux actuellement visibles datent de 1100 et se trouvent dans la cathédrale d’Augsbourg en Allemagne, prouvant qu’à cette époque, les techniques du vitrail étaient déjà parfaitement maîtrisées.
Commence alors une période faste pour le vitrail. Les premiers ateliers s’installent à Chartres. L’abbé Suger (1080 ou 1081 /1151) dote la basilique Saint-Denis, premier édifice gothique, d’une parure de vitraux. Un moine Rhénan, Théophile, rédige même un ouvrage sur l’art du vitrail qui sera le livre de chevet des maîtres-verriers jusqu’à nos jours.
Des vitraux chargés de symboles
Le vitrail est le reflet des connaissances de l’époque, et pourrait être comparé à un merveilleux « livre d’images ». Les sujets sont traités avec simplicité et les personnages sont expressifs.
Les couleurs ne sont pas choisies au hasard et constituent un véritable langage. Ainsi, comme depuis les débuts de l’ère chrétienne, le jaune définit la traîtrise et la fausseté. Le rouge, qui évoque le sang du sacrifice de Jésus, représente l’amour et la charité. Quant au bleu, couleur de la robe de la Vierge Marie, il est synonyme de chasteté et d’innocence. Le vert, couleur de la couronne de Jésus mais aussi de sa croix, évoque l’humilité.
La révolution du style gothique et l’apogée du vitrail
L’évolution du vitrail est étroitement liée à celle de l’architecture des monuments religieux. Jusqu’au XIIe siècle, le style roman, qui utilise l’arc en plein cintre, ne permet que des ouvertures limitées. En conséquence, les vitraux sont taille modeste et se caractérisent par un assemblage de médaillons carrés ou circulaires, bordés de riches motifs végétaux.
Au XIIIe siècle, avec le développement du style gothique les fenêtres s’agrandissent. Toute l’Europe se couvre d’églises et de cathédrales. Les représentations de scènes bibliques, magnifiées par des vitraux aux tonalités de plus en plus nuancées, racontent des épisodes de l’Ancien et du Nouveau Testament. Conjointement apparaissent les premières représentations des riches donateurs ou des scènes de la vie quotidienne.
La palette de couleurs s’enrichit : le bleu est plus soutenu et devient « bleu de Chartres », ainsi renommé pour sa translucidité et sa capacité à capter la lumière. La gamme des verts glisse d’olive à l’émeraude, le rouge du carmin au vermillon.
Enfin, comme à Notre Dame de Paris ou à Chartres, les premières grandes roses illuminent les façades.
Le tournant du réalisme
Au cours des siècles suivants, la technique de maîtrise des couleurs atteint la perfection et la gamme s’enrichit encore. En même temps, le verre blanc, désormais totalement translucide, est plébiscité par les ordres cisterciens et franciscains qui prônent le dépouillement et la simplicité.
La maîtrise de la perspective engendre des scènes très réalistes et le vitrail de l’époque Renaissance se transforme petit à petit en un art à destination civile. De nouvelles techniques voient le jour, les formes se précisent et les visages, devenus très expressifs, s’éclairent sous l’influence de nuances de plus en plus subtiles qui jouent avec la lumière.
Puis durant les deux siècles suivants, le mouvement culturel du classicisme prône une esthétique privilégiant la clarté. Les goûts s’orientent dès lors vers des vitres blanches ornées seulement d’une bordure colorée à l’émail ou au jaune d’argent, et de nombreux vitraux colorés sont détruits.
Le XIXe siècle, ou la révolution du vitrail
Cette période de sommeil prend fin dans le premier tiers du XIXe siècle. Le retour du vitrail s’accompagne alors d’une recherche des techniques traditionnelles oubliées, en même temps que de l’expérimentation de différentes possibilités issues de l’univers industriel.
Si, en raison d’un développement urbain très dynamique, la création de nouvelles paroisses fait exploser la demande de vitraux religieux, le mouvement Art Nouveau, qui s’épanouit dans l’architecture et les arts décoratifs, va s’emparer de l’art du vitrail. De très grands artistes vont ainsi exprimer leur art dans les demeures privées, les grands magasins et les banques.
Vitrail quasiment exclusivement civil, il s’intègre totalement à l’architecture. Souvent très coloré, ses grands thèmes de prédilection sont la nature avec les plantes et les animaux, mais également des scènes illustrant, comme en Lorraine, le travail de la sidérurgie.
En resurgissant, le vitrail décoratif donne naissance à de véritables entreprises industrielles, et la production, standardisée, se vend dès lors sur catalogue.
Cet art vivant perdure après la première guerre mondiale, au travers du mouvement Art Déco. Même si la société est alors à la recherche de lumière et tend à repousser cet art, celui-ci continue de rayonner dans certaines régions comme la Lorraine.
En rupture complète avec le vitrail Art nouveau, le vitrail Art déco s’oriente vers des créations aux formes très stylisées et géométriques. Magistralement mis en scène, les couleurs sont franches ou marient harmonieusement le blanc à des gris ou des noirs.
Faisant résonance avec le thème partout présent du progrès, de nouveaux procédés sont introduits: modelage à chaud de dalles de verre, utilisation de nouveaux verres (imprimé, en relief, …), techniques permettant l’assemblage du verre avec de la pierre ou du métal.
L’art du vitrail inspirera également de grands artistes contemporains comme Marc Chagall qui, au cours des années 1950 s’adonnera avec passion à la création de vitraux pour devenir un véritable « peintre de la lumière », ou Pierre Soulages, qui en 1986 créera les vitraux de l’abbatiale Sainte Foix de Conques, à partir d’un nouveau verre translucide conçu par l’artiste lui-même.
Le vitrail français contemporain
Si Le XXe siècle fut le siècle de l’innovation dans le domaine des produits verriers, le vitrail reste aujourd’hui un art profondément vivant, ancré dans la création et en quête perpétuelle de nouveaux chemins.
Malgré le défi véritable de s’installer comme artisan d’art, la profession de Maître vitrailliste suscite toujours de nombreuses vocations, puisque l’on compte plus de 500 ateliers en France, dont la configuration va de la structure unipersonnelle à l’atelier d’une vingtaine de salariés.
Si la conservation et la restauration constituent une large part de leur activité, force est de constater que la création et la créativité sont bien vivantes et que ces artisans d’art cherchent avant tout à retranscrire, au travers de leur savoir- faire et de leur sensibilité, une image lumineuse de notre temps.
Au cours du XXe siècle et bien au-delà du traditionnel vitrail au plomb, de nouveaux savoir-faire sont inventés. Suivant cette voie, depuis les années 1990, de nouvelles générations d’artisans d’art vitraillistes explorent des pistes insoupçonnées, testent et diffusent progressivement de nouvelles techniques du travail du verre : thermoformage, collages, gravure, …
Tels des explorateurs infatigables, ils font évoluer leurs propres pratiques. Ainsi en est-il de Jean Mône près de Lyon, qui va jusqu’à inclure à ses cloisons lumineuses des technologies comme celle de la Led.
Dans le prolongement de ces réflexions autour de la lumière et des meilleures façons de la magnifier, les artisans d’art vitraillistes s’inspirent de ce qu’ils voient, ressentent ou perçoivent, afin de créer des pièces d’exception parfois très loin du champ de l’architecture.
Maître verrier vitrailliste, une formation solide
La France, pays de cathédrales avec ses 90.000 m2 de vitraux, possède la plus grande surface de vitraux au monde. L’activité de conservation et de restauration de ce patrimoine inégalable est donc importante et représente une large proportion du travail des artisans d’art vitraillistes.
La formation initiale de ces derniers se déroule au travers d’un CAP arts et techniques du verre option vitrailliste, adossé à un contrat de professionnalisation. La durée de l’apprentissage est de deux ans et peut se compléter par 2 années supplémentaires pour l’obtention d’un Brevet des Métiers d’Art (BMA), ou un diplôme national des métiers d’art et du design (DNMAD) en 3 ans.
Au cours de cette formation, le futur vitrailliste découvre les techniques de base et les étapes de réalisation d’un vitrail. Il acquière les notions concernant le matériau verre, ses techniques de coloration, apprend à tracer un vitrail, à couper le verre, le sertir, le souder à l’étain puis au plomb.
Au fur et à mesure, avec patience, cet enseignement amènera le futur professionnel à manier le verre pour capter la lumière, afin, comme l’écrivait l’historien Jean Taralon en 1958, « de l’organiser en un jeu de couleurs et de lignes à travers le réseau des verres et des plombs ».
Merci à Laura Cambon et à Sklaerenn Imbeaud pour m’avoir autorisée à utiliser certaines de leurs photographies. N’hésitez pas à découvrir leur merveilleux travail sur leurs sites internet.
Pour aller plus loin…
Le passeur de lumière. Roman (Bernard Tirtiaux ; 1995/ Poche Folio)
Revue des Ateliers d’art (Mai-Juin 2016)