LA MARQUETERIE DE PAILLE: L’OR DES PAUVRES

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  • Publication publiée :30 octobre 2020

Art décoratif insolite et rare, la marqueterie de paille se définit comme un procédé utilisant, dans un travail de composition aussi varié qu’imaginatif, de la paille de seigle, reconnue pour ses qualités de brillance et de robustesse.

Les origines

Depuis la nuit des temps, la paille est l’une des plus fidèles alliées de l’homme : A la fois aliment, litière, engrais, elle protège de l’humidité, recouvre les toitures, se tresse pour devenir natte, paillasse ou panier.

Le seigle

Si le blé est considéré depuis 5000 ans comme un don de la vie et un don des Dieux, Pline l’Ancien qualifiait le seigle de “céréale inférieure”, bonne à manger quand on n’avait rien d’autre.

L’ancêtre sauvage du seigle n’a pas été identifié avec certitude, mais proviendrait de l’est et du centre de la Turquie. Cultivé en Europe Centrale et orientale depuis le Moyen âge, sa proportion dans la pâte à pain va diminuer au fil des siècles au profit du froment. En effet, la population se détourne au fil du temps de ce pain noir, synonyme dans l’imaginaire populaire de disette et de famine.

Aujourd’hui, dans une société à la recherche d’une vie et d’une alimentation plus saines, le pain de seigle et ses vertus retrouvent leurs lettres de noblesse : peu calorique, riche en fibres, il devient un allié du manger sain.

En revanche, la paille de seigle est utilisée encore de nos jours par les artisans d’art marqueteurs de paille.

Ramassage du seigle au XIV ème siècle

Au commencement de la marqueterie de paille

Si les origines de la marqueterie de paille sont très controversées, il est cependant plausible de penser que les voyageurs de la Route de la Soie ont pu servir de vecteur avec les pays d’Extrême Orient pour importer ce savoir-faire en Europe.

Mais c’est au début du XVII eme siècle quela marqueterie de paille se répand définitivement en Europe et particulièrement en France.

Également baptisée « Marqueterie du pauvre » en raison du matériau utilisé, le développement de cette technique est favorisé à la fois par le coût alors très élevé des bois exotiques que par l’approvisionnement facile en matière première.

C’est ainsi que la marqueterie de paille sera utilisée jusqu’au XIX eme siècle de l’Italie à la Pologne et de l’Angleterre à l’Espagne par de talentueux artisans qui produisent des boîtes décorées de motifs, des coffrets de jeux, des couvertures de livre, …

Artisanat exécuté à domicile mais également dans des ateliers civils, religieux ou pénitentiaires, il révèle le talent d’artistes anonymes qui nous ont laissé en héritage de magnifiques réalisations rarement signées, pièces d’exception uniques et très ouvragées.

Détail d’un coffret fin du XVII ème siècle; Musée Balaguier

Le XVIII ème siècle ou l’apogée de la marqueterie de paille

Le Paris du milieu du XVIII ème siècle jusqu’à la Révolution française est une période où se révèle l’excellence des arts décoratifs et du savoir-faire à la française. On voit ainsi fleurir boiseries et décors peints, faïences, laques, ébénisterie et autres créations délicates, raffinées et insolites. Et tout naturellement, les objets de marqueterie de paille trouvent leur place dans des intérieurs coquets en pleine transformation.

L’une des plus anciennes pièces de marqueterie de paille répertoriée à ce jour est une couverture de livre de chants datée de 1711, signée Carl Hinrich Hering connu en 1694 sous la profession de « fabricant de boîtes en paille » (Museum fùr Kunst und Gewerbe de Hambourg).

Boîtes en marqueterie de paille du XVIII ème siècle

Les bagnards, artistes anonymes du XIX eme siècle

Si le siècle suivant voit perdurer le travail de la marqueterie de paille par le biais d’ateliers, cet art est alors prioritairement lié au travail des prisonniers de guerre de la période napoléonienne, ainsi qu’aux réalisations effectuées par des bagnards.

Boîte écritoire à la gloire de Napoléon 1er; 1813. Galerie Marie Maxime, Paris

Le premier bagne français est construit à Toulon en 1748, suivi par ceux de Brest et de Rochefort.

Mais c’est en 1852 qu’est créé celui de Cayenne, dans le but d’éloigner les condamnés de la métropole et de peupler la colonie.

De ce système, resté dans la mémoire collective comme s’apparentant à l’enfer sur terre, émergeront des artistes qui, en cherchant à améliorer leur existence, vont se tourner vers la marqueterie de paille.  

Si certains travaux sont grossiers, d’autres témoignent d’une grande dextérité et d’un véritable sens artistique à l’origine de merveilleuses créations, dont les auteurs resteront à tout jamais anonymes.

Coffret effectué par un bagnard; XIX ème siècle

Puis petit à petit, l’art de la marqueterie de paille va entrer en sommeil…. Pour mieux renaître après la Première Guerre Mondiale.

Le 20eme siècle et ses grands noms 

Il faut en effetattendre les années 1920 pour assister à un renouveau de l’art de la marqueterie de paille.

André Groult et Jean- Michel Franck, figures tout à fait incontournables de l’art décoratif du XXème siècle vont ainsi remettre cet art à l’ordre du jour en l’employant sur de vastes surfaces : qu’il s’agisse de meubles, de murs intérieurs ou de paravents, tous ces supports se transforment sous leurs mains expertes en œuvres d’art somptueuses et singulières.

André Groult. Panneau décoratif en marqueterie de paille. Ancienne collection de Suzanne Moreau- Laurencin
Jean- Michel Franck. Paravent.

Mais les incertitudes de cette époque chaotique et perturbée, auxquelles s’ajoute l’augmentation considérable du coût de la vie vont malheureusement briser cet élan.

Il faudra attendre les années 1950 pour que les meubles de Jean Royère, de Daniel Langlois-Berthelot et de Bernard Avard reviennent sur le devant de la scène internationale des Arts décoratifs.


Langlois- Berthelot. Coffret en marqueterie de paille
Jean Royère. Table basse “flaque”. 1955

Au XXI ème siècle, un art en pleine renaissance

Aux alentours des années 2000, il ne reste en France qu’une marqueteuse de paille : La Maître d’Art Lison de Caunes, petite fille d’André Groult, qui se partage entre le travail de restauration et la création d’œuvres originales, parfois monumentales.

Intérieur en marqueterie de paille à motifs damier. Lison de Caune en collaboration avec François-Joseph Graf
Lison de Caunes. Marqueterie de paille

Aujourd’hui, on dénombre une vingtaine de marqueteurs de paille en France, dont la créativité et le savoir- faire sont une véritable promesse pour le renouveau de cet art.

Table vitrail; Détail. CerCus marqueterie
Table cubaine. CerCus marqueterie
Photo : Johanna Jardin, Agence Pixcity

La marqueterie de paille : un art de la minutie

La marqueterie de paille peut être qualifiée de véritable artisanat d’art du fait main, puisque, hormis le plioir et les ciseaux, le scalpel, un pinceau et de la colle, cette technique ne nécessite l’intervention d’aucune machine.

Matière naturelle, simple et rustique, la paille de seigle fascine ceux qui la travaillent par sa brillance exceptionnelle et ses reflets infinis. Celle qui est utilisée pour la marqueterie de paille est cultivée par un seul céréalier, installé en Saône et Loire et qui la destine exclusivement à cette poignée d’artistes passionnés.

Paille de seigle teinte

Une patience sans limites pour une technique ancestrale

Dans une première étape, la paille est fendue avec l’ongle ou aplatie avec le plioir pour l’assouplir et l’aplanir.

Puis, avec une minutie infinie, le marqueteur plaque les brins de paille bord à bord, sur un support.

Si celui-ci est de papier, on parle de marqueterie appliquée, qui permet d’effectuer des placages et de créer des motifs, à l’instar du travail effectué par les ébénistes.

La technique du frisage, quant à elle, consiste à effectuer le collage directement sur le bois pour obtenir des motifs géométriques.

Mais quelle que soit la technique pratiquée, le maître mot pour le marqueteur de paille est celui de patience, puisque pour réaliser un motif complexe et marqueter une surface, de longues heures de travail seront nécessaires.

C’est ainsi que la paille de seigle, matière on ne peut plus modeste, se trouve transcendée par le talent d’artisans d’art, héritiers d’un savoir-faire détenu à l’origine par des hommes souvent mis au ban de la société.

Cet art, resté « mineur » durant des siècles, prend enfin sa revanche sous les doigts d’artistes contemporains passionnés et créatifs.

En effet, les artisans d’art marqueteurs de paille collaborent aujourd’hui avec le monde du luxe pour imaginer des objets, des meubles ou des intérieurs précieux et sophistiqués. A partir de modestes fétus de paille que leur savoir-faire d’exception sublime, les surfaces travaillées par leurs mains expertes patinent délicatement la lumière et enchantent notre regard, pour notre plus grand bonheur.

Montre Hermès; cadran en marqueterie de paille

Pour aller plus loin…

http://www.cercus.fr/

https://www.lisondecaunes.com/fr/

https://artisanat-france.fr/la-marqueterie-de-paille-un-metier-dart-encore-meconnu/

http://lapailleenmarqueterie.e-monsite.com/pages/historique-de-la-marqueterie-de-paille/

Métiers d’art, l’excellence française.  Hélène Farnault ; .Editions du Chêne