LE DINANDIER, DOMPTEUR DE MÉTAUX

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  • Publication publiée :5 décembre 2021
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Les origines

Historiquement, le cuivre est le premier métal à avoir été modelé par l’Homme. Sa couleur naturelle présente la particularité remarquable de varier au cours du temps, passant du rouge-brun au vert-de-gris. Son utilisation précoce par nos ancêtres est liée à la présence de cuivre natif (minéral métallique) dans la croûte terrestre directement exploitable, sans qu’aucun procédé d’extraction du minerai ne soit nécessaire.

Cuivre natif

Le bronze, aussi appelé airain par les anciens, est connu dès les origines de l’humanité.  Il correspondait alors à tous les alliages de cuivre, qu’il s’agisse d’étain, de zinc ou de plomb. Plus précieux, les artisans de l’Antiquité réalisaient également des assemblages de cuivre avec de l’or et de l’argent.

Des aiguilles martelées datant de 9 000 ans avant J.C. sont les objets en cuivre les plus anciens qui aient été retrouvés.  Les Égyptiens, quant à eux, coulaient le cuivre depuis 4ème millénaire avant notre ère, afin de fabriquer des pièces à partir de métal repoussé.

A l’époque mérovingienne, la vallée de la Meuse représente déjà un haut lieu de la fabrication d’objets en cuivre, et ses « orfèvres » sont déjà renommés. La production porte alors essentiellement sur de la chaudronnerie et le façonnage de chaudrons, bassins, poêles et autres ustensiles du quotidien.

Objets mérovingiens ( épingles, fibules)/ Musée Carnavalet. Paris

A partir du XI ème siècle, la ville de Huy en Belgique devient le berceau de la dinanderie. Elle est cependant supplantée dès le siècle suivant par Dinant qui impose à un tel point le monopole de la production d’objets en cuivre que la ville finit par donner son nom à ce savoir-faire. Les textes de l’époque désignent alors les dinandiers comme les « ouvriers de jaune ouvrage ».

La citadelle de Dinant

La dinanderie, ou l’art de battre le métal

La création d’objets domestiques obtenus par martelage du cuivre et d’autres matériaux comme le laiton, le bronze, l’étain ou l’argent va petit à petit s’ouvrir à la production de précieux objets liturgiques, comme des chandeliers ou des lutrins. Au fur et à mesure de la prospérité grandissante de la dinanderie, des pièces de taille imposante seront créées, comme les fonds baptismaux exécutés vers 1110 par René de Huy pour l’Eglise Notre- Dame- aux- Fonts (conservés dans l’église Saint Barthélémy de Liège), ou le lutrin en forme d’aigle du fondeur dinantais Jean Joses (1370), d’une hauteur de plus de deux mètres (conservé à Notre Dame de Tongres).

Cuve baptismale de Saint Germain de Tirlemont (1149)

Après l’écrasement et le démantèlement de Dinant en 1466 par le futur Charles le Téméraire, le déclin du berceau historique de la dinanderie va progressivement se faire au profit de l’Allemagne et des Flandres.

Le travail du laiton va lui-même se mettre en sommeil jusqu’au début du XIXème siècle, même si au cours des XVIIème et XVIIIème siècle la dinanderie représentera l’activité principale du bassin d’Aurillac. La production de ses artisans, reconnue pour sa qualité, se vend alors dans l’Europe entière.

Aurillac. Atelier de dinanderie. 1896

Durfort, située au pied de la Montagne noire, tire également son épingle du jeu. Les artisans de la ville utilisent alors la force hydraulique du Sor pour faire fonctionner d’immenses marteaux, appelés martinets, qui permettent de former les objets qui sont ensuite achevés en atelier.

Martinets. Schéma

Au XIXème siècle, le renouveau de la dinanderie

Le XIXème siècle redécouvre le Moyen-Âge et se passionne pour cette période. Dans ce contexte, on s’intéresse à diverses techniques ancestrales dont celle de la dinanderie, et l’on remet à l’honneur le métal martelé. Le maître hôtel néo-gothique de la cathédrale de Clermont- Ferrand, présenté à l’exposition universelle de 1855 puis installée dans le chœur en 1856, constitue l’une des pièces maîtresses de l’époque et combine plusieurs innovations techniques. En effet, les plaques de cuivre, non fondues mais travaillées au repoussé, sont clouées et non soudées. La dorure quant à elle est obtenue à partir d’un procédé révolutionnaire pour l’époque : L’électrolyse.

Détail du maître Hôtel de la cathédrale de Clermont-Ferrand/ Viollet le Duc

La statue de la Liberté, une prouesse technique et un cadeau d’amitié pour l’Amérique

Dans le cadre de la commémoration du centième anniversaire de la Déclaration d’indépendance des États-Unis, le sculpteur Auguste Bartholdi, réputé pour ses projets architecturaux et ses effigies d’hommes célèbres, est choisi pour réaliser La statue de la Liberté. A cette gigantesque pièce de dinanderie collaboreront les plus grands, puisqu’ Eugène Viollet le Duc et Gustave Eiffel travailleront à l’étude de la charpente métallique de la statue, qui sera conçue à Levallois Perret, dans les ateliers de Gustave Eiffel.

Plusieurs étapes seront nécessaires à la réalisation de cette œuvre monumentale, haute de 56 m et pesant 200 tonnes (120 de de fer et 80 de cuivre). La dernière consistera à la mise en forme par emboutissage des feuilles de cuivre qui recouvrent la structure et y sont fixées par rivetage.

La statue de la Liberté

La période art déco ou le renouveau de la dinanderie

Au XXème siècle, le savoir-faire ancestral de la dinanderie est remis au goût du jour grâce au mouvement stylistique Art Déco. Les artistes se réapproprient alors les techniques et les matériaux anciens en y ajoutant les nouveautés décoratives de ce début du siècle.

Ainsi l’influence du Japon et de ses estampes, très prisées à cette époque, inspira-t-elle le décor de ce plat creux dont le « Mont Fuji » est travaillé par martelage.

La renaissance de la dinanderie passera par le travail d’artistes comme Bonvalet, Gallerey, Berthe, Cazin ou Frank Scheidenecker. Le sculpteur Jean Dunand (1877-1942), qui se passionna pour le travail du cuivre, du nickel ou du plomb l’enrichit d’incrustations d’or et d’argent.  Son élève Claudius Linossier (1893-1953) rénovera la technique du travail de battage du métal et créera au marteau, dans son atelier de la Croix Rousse à Lyon, des vases et des plats aux formes à la fois simples et amples. A l’ajout de laques ou de métaux, il préfèrera les incrustations de métaux patinés à l’acide, qui donnent à ses pièces de cuivre rouge de douces nuances argentées ou patinées d’or.

Le martelage du cuivre et du laiton sera également utilisé pour l’ornementation de meubles : Les poignées de tirage, la gaine des pieds et même des panneaux décoratifs recouvrant les portes seront obtenu grâce au travail des dinandiers, conférant ainsi aux meubles des tonalités rouge et doré en parfaite harmonie avec le bois. Ce travail minutieux est aujourd’hui encore réalisé par des ateliers qui créent ainsi des meubles de toute beauté.

La dinanderie au Maghreb

Si la dinanderie est une technique ancestrale bien ancrée en Europe, elle est également un savoir-faire indéniable au Maroc. Elle y apparaît au XIIème siècle et se transforme en un art à part entière à partir du XIVème siècle, grâce au sultan Abou Inau, qui commande pour la mosquée Karaouine de Fès de magnifiques chandeliers en bronze ainsi que des plaques de cuivre pour l’habillage des portes.

Petit à petit ce savoir- faire va s’étendre, et apparaitront entre autres des heurtoirs en forme de Fatma ou de pentacle sur les portes des propriétaires aisés.

Heurtoir de porte/ Maroc

Les artisans dinandiers marocains fondent le métal, le martèlent, le cisèlent, le repoussent ou l’incisent. Ils fabriquent ainsi de fascinants objets utilitaires ou décoratifs comme des plateaux ronds, des bouilloires, des théières, des miroirs, des luminaires, des photophores, …. Chaque pièce est unique et décorée de motifs sans cesse renouvelés, issus de l’imagination des artisans et de la riche culture marocaine.

La dinanderie fait également partie du patrimoine algérien. Si les techniques sont les mêmes, les décors présentent une influence hispano-mauresque du côté de Tlecem, caractérisée par des enchevêtrements d’arabesques qui génèrent des rinceaux infinis, agrémentés de motifs floraux et géométriques. A Constantine et Alger, l’héritage oriental est plus fort : les objets en cuivre sont incisés ou ciselés de tulipes, œillets, cyprès et fleurs étalées, rappelant l’influence et les convergences croisées au cours de l’histoire avec la culture ottomane.

Articles de dinanderie. Constantine/Algérie

La dinanderie : un art entre chaudronnerie et orfèvrerie

Du fait que les deux techniques utilisent la feuille de métal comme matière première, chaudronnerie et dinanderie sont souvent assimilées.

Même si au départ, tout commence par une plaque de cuivre qu’il va falloir façonner à coups de marteau, la différence entre les deux activités réside dans le fait que la dinanderie résulte d’un travail artistique et esthétique qui cherche à sublimer les pièces créées. Pour ce faire, plusieurs opérations sont menées par l’artisan dinandier.  Son activité, qui impose de nombreuses heures de frappe sur un métal qui, à force de le travailler se durcit, demande patience, énergie, endurance et précision.

Outillage de dinandier

Des techniques et des outils

Les étapes de fabrication d’une pièce par l’artisan dinandier nécessitent l’alliance parfaite entre connaissance technique du travail du métal, habileté, minutie … et sens artistique. Cette activité, éprouvante physiquement et mentalement, ne laisse pas de place au hasard. En effet, ce n’est qu’au fil d’heures, de jours, voire de semaines d’un travail à la fois physique et bruyant que la matière, au départ âpre et rugueuse, prend forme pour se transformer en une pièce douce et aérienne.

Feuille de cuivre martelée. Finition cuivre oxydé. Pièce unique/ Jonathan Soulié https://www.jonathan-soulie.com//

Les étapes de fabrication nécessaires à la réalisation d’une pièce sont nombreuses :

Le dinandier commence par l’étape du traçage et de la découpe du flan, feuilles de métal découpées et travaillées à froid à l’aide d’outils comme des maillets ou des marteaux, et dont la taille et l’épaisseur détermineront le rendu final de la pièce.

Puis l’artisan d’art entreprend la mise en forme de la pièce lors de l’étape appelée emboutissage, par laquelle le dinandier vient repousser la matière pour lui donner une forme creuse. Cette mise en forme pourra également être obtenue grâce à d’autres techniques comme, pour exemples, le roulage, le cintrage ou le pliage.

La rétreindre permet quant à elle d’amener la feuille de métal d’une position horizontale à une position verticale en lui donnant du volume, grâce à des passages de maillet successifs.

Ces opérations peuvent être associées au chauffage du matériau à l’aide d’un chalumeau, qui permettra au métal de s’assouplir, et à l’artisan dinandier de le modeler à nouveau.

Ces différentes étapes seront répétées aussi longtemps que nécessaire, jusqu’à ce que la forme souhaitée par l’artisan soit obtenue, ce qui peut nécessiter de nombreuses heures ou jours d’un travail fait de perspicacité et de patience.

Après le bordage, qui consiste à sécuriser le bord d’une pièce en escamotant les arêtes tranchantes, l’assemblage de l’ensemble se pratique ensuite suivant plusieurs techniques comme l’agrafage, le soudage ou le brasage.

La dernière étape, nommée planage, est destinée à atténuer ou réguler les traces de martelage. Elle permet ainsi de donner à l’objet un aspect lisse ou facetté en fonction du type de marteau utilisé, et selon l’effet décoratif souhaité. En effet, même si la précision du travail au marteau donne à la pièce une surface quasiment lisse, de minimes imperfections peuvent se sentir au toucher. Le planage consiste à les éliminer en frappant la pièce à petits coups rapides et forts de façon aussi serrée que possible, à l’aide d’un maillet lisse et poli comme un miroir.

A ces étapes incontournables peuvent s’ajouter d’autres techniques comme le délicat travail de ciselure ou de gravure, ou encore celui d’incrustation qui consiste à introduire des fils d’argent ou d’or dans de petits sillons préalablement creusés à l’aide de burins dans la surface du métal.

L’artisan d’art dinandier, un métier rare et précieux

Actuellement, on ne compte plus en France qu’une quinzaine d’artisans d’art dinandier. Cependant, leur savoir-faire est véritablement reconnu, en particulier par les amateurs de pièces hors du commun. L’exigence, la passion et l’imagination guident les mains expertes de ces artistes vers la création de pièces rares qui s’appuient sur des techniques ancestrales et des outils qui n’ont pas changé depuis des siècles, tout en se tournant vers le design et l’innovation, collant ainsi à l’esprit de notre temps.

Si de leurs créations émane l’esthétique incontournable de la pièce unique et par là l’œil de l’artiste, derrière chaque pièce d’exception se cache également le regard technique de l’artisan qui réfléchit aux étapes de sa réalisation, contribuant à la naissance d’un univers qui transmet à l’observateur les vibrations de la matière, au travers d’un savoir-faire alliant équilibre, harmonie et élégance.

Entre énergie et poésie, l’artisan d’art dinandier, par son savoir-faire aussi rare qu’atypique, sait rendre douce la matière brute et ensoleiller ainsi le regard et le cœur de ceux qui trouvent sous le matériau premier la sensibilité renfermée par l’œuvre d’art.

Feuille de cuivre martelée. J.Soulié https://www.jonathan-soulie.com/
Baignoire en cuivre. Atelier du cuivre https://atelierducuivre-shop.com/fr/content/9-showroom

Un grand merci à Jonathan Soulié et à l’Atelier du cuivre pour leur accueil et le prêt de leurs magnifiques photographies. Vous pouvez retrouver leur extraordinaire travail sur leur site:

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