Depuis toujours, l’Homme a ressenti la nécessité de mesurer le temps, et le cadran solaire est considéré comme l’un des tous premiers instruments qui ait permis de répondre à ce besoin.
La mesure du temps
Cependant, dire qu’un cadran solaire mesure le temps solaire est commettre un abus de langage. Il permet en fait de mesurer l’angle de rotation du soleil sur sa trajectoire, et c’est cet angle qui permet d’interpréter le temps.
Au cours de la journée, la terre tourne sur elle-même. Le déplacement du soleil d’est en ouest va provoquer le déplacement de l’ombre, permettant ainsi de mesurer l’heure.
Le second mouvement de la terre est celui de son déplacement autour du soleil selon un axe de rotation incliné, qui va déterminer les saisons et la variation de la hauteur du soleil au cours de l’année.
Gnomon et cadran solaire : des alliés inséparables
Le fonctionnement du cadran solaire découle d’un autre instrument, le gnomon, outil astronomique le plus ancien, qui servait à déterminer les constantes fondamentales de l’astronomie : latitude, dates des saisons, durée de l’année.
Au départ simple bâton planté verticalement dans le sol, son but était d’établir, à partir de son ombre projetée, la hauteur du soleil dans le ciel. Il est à l’origine de la science des cadrans solaires, ou gnomonite, et l’ancêtre du cadran solaire « moderne » inventé par les Babyloniens.
Le cadran solaire est constitué d’un gnomon et d’une surface de réception sur laquelle sont tracées les lignes horaires où va se projeter l’ombre du stylet, grâce la lumière du soleil.
La tradition raconte que le Scaphé, premier cadran solaire, fut élaboré par l’astronome babylonien Bérose, au III ème siècle avant JC. Il est de forme hémisphérique et divise l’intervalle de temps entre lever et coucher du soleil en douze parties égales, quelle que soit la saison. Il en résulte pour nos régions une durée de l’heure variant de 40 minutes en hiver à 80 minutes en été. C’est que l’on appelle les heures temporaires.
Les fouilles archéologiques ont mis au jour des centaines de cadrans solaires dans tout le bassin méditerranéen. Elles ont permis de déterminer que ces instruments furent inventés par les populations d’orient, et que les grecs en empruntèrent la technique de construction aux babyloniens.
Les romains à leur tour adopteront la science de la gnomonique. C’est ainsi que les premiers cadrans solaires font leur apparition à Rome au cours du IIIème siècle avant JC, pour se répandre ensuite dans tous les territoires dépendant de son autorité. Objet de prestige pour les romains, il trônait sur la plupart des places publiques et tous les citoyens riches en possédaient un dans leur villa.
L’islam donne ses lettres de noblesse à la gnomonique
A partir du VIIIe siècle, les savants arabes découvrent l’astronomie grecque, et vont dès lors apporter à la gnomonique des perfectionnements déterminants, dans le but de mettre le cadran solaire au service de l’Islam. En effet, il aura dès lors pour mission d’indiquer avec précision les moments des prières, elles- mêmes en rapport avec la course du soleil. C’est ainsi que quantité d’ouvrages traiteront de gnomonique, et que des cadrans solaires d’une beauté extraordinaire verront le jour.
Les connaissances des astronomes arabes vont en outre apporter une amélioration majeure à cette science : Les gnomons horizontaux ou verticaux jusque -là utilisés et donnant des heures inégales sont remplacés par un gnomon placé parallèlement à l’axe de rotation de la terre, c’est-à-dire pointé vers le pôle nord céleste. Cette découverte permet dès lors d’obtenir des heures constantes, égales à 60 minutes, d’un bout à l’autre de l’année.
L’essor des cadrans solaires en Occident
Vers le VIIème siècle apparaissent en Europe, le plus souvent sur des édifices religieux, les cadrans canoniaux, également nommés cadrans de prière. Placés sur les façades sud des édifices religieux médiévaux, ils sont très dépouillés. Le dessin est constitué de trois à douze segments de droite qui convergent vers l’emplacement d’un stylet droit en bois (parfois en fer), fixé perpendiculairement au mur.
Contrairement aux cadrans solaires décrits précédemment, les cadrans canoniaux ne donnent pas l’heure à proprement parler, mais servent plutôt, jusqu’au XIVème siècle, d’indicateurs pour les prières ou les offices religieux.
Malgré le développement de l’horlogerie à partir du XIIIème siècle, les cadrans solaires continuent à se développer, et les deux instruments deviennent complémentaires.
Désormais capable de mesurer l’heure avec exactitude, le cadran solaire orne les façades des églises, des châteaux ou de riches demeures. De plus en plus complexe, il va jusqu’à indiquer les heures de lever et de coucher du soleil ou les dates des saisons.
Le duo horloge/cadran solaire continuera à évoluer conjointement jusqu’au XIXème siècle, avant que la précision grandissante des mécanismes d’horlogerie ne fasse perdre du terrain à son « binôme ».
Le temps de l’ingéniosité
Ce n’est qu’au XVIème siècle que l’heure est officiellement fixée en occident comme la 24ème partie du temps séparant deux passages du soleil au zénith. C’est également au cours de ce siècle et du suivant que le cadran solaire atteint son âge d’or, chacun se devant alors d’en posséder un.
L’orientation côté sud donnant le plus d’informations exploitables pour les cadrans verticaux, c’est généralement cette façade des bâtiments qui les supporte. Placés devant la porte principale de l’habitation ils sont à l’origine de l’expression ” Voir midi à sa porte“.
A cette période se développent également les cadrans solaires portatifs, fabriqués généralement dans des matériaux précieux comme l’argent, le laiton doré ou l’ivoire. De petite dimension, ils sont facilement transportables. Véritables bijoux, ces œuvres d’art sont orientées vers le Sud grâce à une boussole intégrée à l’ensemble. Leur précision reste cependant approximative.
Le cadran solaire de SEIS à la conquête de la planète Mars
De nos jours, le XXIème siècle n’a pas transformé le cadran solaire en instrument obsolète. Bien au contraire, puisqu’il participe même aux plus grandes expéditions de notre époque.
Dans le cadre des recherches sur Mars, le sismomètre Seis a été embarqué à bord du Lander InSight de la Nasa, avec pour mission d’étudier le sous-sol de la planète, en enregistrant les séismes qui la secouent.
Mais pour pouvoir utiliser cet instrument avec toute la précision requise, les sismologues avaient impérativement besoin de connaître son orientation au sol.
Comme il est impossible d’utiliser une boussole conventionnelle sur Mars, les scientifiques ont fait appel, à des milliers d’années de distance, à la technique babylonienne antique, pour trouver la position du pôle nord géographique : Le grappin du bras robotique, en utilisant la technique de l’ombre portée, joue ainsi le rôle de gnomon, et permet de connaître la direction et la hauteur du Soleil dans le ciel, déduisant la position du nord géographique de Mars.
Face à ce défi technologique, il parait effectivement difficile d’affirmer que le cadran solaire n’est plus qu’un objet du passé à reléguer dans un musée.
C’est d’ailleurs pourquoi des artisans passionnés et conscients de la richesse de cette science continuent de perpétrer cet art, créant des cadrans solaires contemporains, du plus petit au plus gigantesque, ou restaurant les œuvres du passé.
Ainsi en est-il du barrage de Castillon dans le Var, conçu également comme un cadran solaire. Co- construit par Denis Savoie, astronome et historien des sciences, il possède une surface de 13.000 m2, permettant de lire l’heure de 06H00 à 18H00.
L’innovation de ce cadran réside dans le fait que c’est l’ombre même du parapet, projetée sur la voûte du barrage, qui permet de lire l’heure solaire.
Le gnomoniste et le cadranier, deux métiers complémentaires et étroitement liés
Mais aucun cadran solaire ne verrait le jour sans le travail et les compétences conjointes de deux métiers inséparables : ceux de gnomoniste et de cadranier.
Le gnomoniste est à la fois ingénieur, astronome, physicien et mathématicien. C’est lui qui calcule trigonométriquement le cadran solaire à partir de formules astronomiques ou géométriques complexes. L’objectif étant d’aboutir à la création d’un instrument capable de mesurer et d’indiquer l’heure avec une précision inférieure à la minute de temps, le gnomoniste calcule chaque futur cadran solaire en fonction de son lieu d’implantation (longitude et latitude). Pour ceux disposés en façade, il prend en compte l’orientation et l’inclinaison de celle-ci.
La première étape du travail consiste à choisir l’emplacement du cadran en tenant compte de l’environnement, du matériau dans lequel sera fabriqué le cadran, et de l’esthétique de celui-ci.
La seconde étape est celle des calculs trigonométriques qui s’appuient sur des données comme la situation géographique du lieu, le déplacement du soleil, la nature géométrique du plan qui recevra le déplacement de l’ombre, etc…
Le cadranier, aussi appelé « facteur ou faiseur de cadran » est quant à lui l’artisan d’art qui fabrique le cadran solaire.
Artiste aux multiples compétences, il est à la fois maçon, peintre ou tailleur de pierre.
Les étapes de calculs terminées, le cadranier peut exécuter son ouvrage.
Après avoir choisi la matière dans laquelle il construira le cadran solaire, souvent taillé dans du granit ou du calcaire, l’artisan lui donne des formes géométriques multiples, du cercle à l’hexagone, de l’octogone au rectangle.
En tenant compte des calculs effectués par le gnomoniste, l’artisan cadranier trace puis cisèle les graduations sur le support, avant de positionner le stylet de laiton ou d’acier.
Le travail de restauration
Mais le travail de l’artisan d’art cadranier se joue également dans l’univers de la restauration. En effet, si le recensement des cadrans solaire en France dépasse le nombre de 30.000, nombre d’entre eux nécessitent d’être sauvegardés et rénovés.
Ce travail se déroule en de nombreuses étapes, et dans certains cas, débute par la restauration gnomonique. Celle-ci permet de retrouver les calculs initiaux, afin de ne pas reproduire d’éventuelles erreurs de restaurations antérieures.
Puis le travail minutieux et patient de restauration débute.
Il commence par des relevés photographiques de la pièce, les décalques des tracés horaires et autres ornementations, chiffres ou devises.
Suit le nettoyage du cadran, afin de retrouver les traces de sa fabrication, et de tenter de sauver le support et la peinture d’origine.
Le restaurateur, en s’appuyant sur le savoir- faire des anciens, effectue avec patience les différentes étapes de dépoussiérage et de nettoyage, de re fixage si nécessaire de la couche picturale, de consolidation des enduits, de rebouchage et de retouches, pour redonner au cadran solaire sa beauté d’antan.
Une restauration réussie est une restauration qui, sans altérer le cadran, met en évidence le travail minutieux du cadranier. Les passants peuvent alors découvrir, souvent avec surprise, la précision et la minute de ces instruments fabuleux.
Par leurs gestes précis et leur passion du détail, les gnomonistes cadraniers savent ainsi redonner aux cadrans solaires de toutes les époques leur valeur scientifique, historique et artistique.
Qu’ils en soient remerciés !
Un remerciement particulier à Messieurs Yves Guyot et Didier Benoît pour leur accueil, et pour la permission accordée d’utiliser leurs archives photographiques qui m’ont permis d’illustrer cet article. Vous pouvez retrouver la richesse de leur travail sur leur site internet, cités ci- dessous.
Pour aller plus loin:
Didier BENOIT Gnomoniste – Création et restauration de cadrans solaires (cadransolaire-benoit.fr)
http://cadrans-solaires-yves-guyot.e-monsite.com/
Les cadrans solaires. Denis Savoie. Ed Belin/ Pour la science