LA CALLIGRAPHIE, UN FASCINANT VOYAGE AU PAYS DES SIGNES

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  • Publication publiée :9 janvier 2022
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Au commencement était la parole. Puis vint l’écriture, invention humaine à la fois fondatrice et bouleversante. De l’élaboration et de la transformation de caractères et signes divers est né petit à petit l’art délicat de la calligraphie.

Si la pratique de cet art s’appuie sur une histoire vieille de plusieurs millénaires, la grande diversité des écritures existantes est quant à elle le reflet des traces laissées par l’Homme au gré du temps, de ses déplacements et de ses migrations autour du globe.

A l’heure d’Internet, il serait légitime de penser que l’écriture manuelle est obsolète. Pourtant, face au regain d’intérêt et à la fascination opérés par la calligraphie contemporaine, à mi -chemin entre écriture et peinture abstraite, il n’en est rien.

Intemporelle, à la fois expression du corps et de l’esprit, la calligraphie, qu’on ne saurait confondre avec l’acte d’écriture à laquelle elle ajoute une singularité esthétique, intrigue et fascine. Peut-être parce qu’elle révèle en quelque sorte l’âme humaine, au travers d’un geste qui véhicule, en plus du sens, le sentiment et l’affectivité de l’artiste qui trace des signes sur le papier.


Préface du pavillon des orchidées (蘭亭集序) de Wang XiZhi (321-379 ou 303-361) Fac similé.

Les origines

Plus qu’un simple exercice d’écriture, la calligraphie représente un art très ancien dont les racines sont nées en Europe et en Extrême Orient il y a plus de mille ans.

Si écriture et calligraphie sont des disciplines différentes, les deux sont intimement liées, et en quelque sorte les fruits d’une même branche. Il aura en effet fallu tout d’abord l’invention de l’écriture pour que, dans un second temps, émerge l’art de la calligraphie.

Les origines du terme calligraphie sont complexes. Art du « beau tracé » pour les uns, exercice spirituel pour les autres, les racines étymologiques nous viennent du verbe grec graphein qui désigne à la fois l’action d’écrire et celle de dessiner.

Ourouk, berceau de l’écriture

Les premiers moments de l’écriture se perdent dans la nuit des temps, et il semble encore aujourd’hui difficile de déterminer si son origine est à mettre au crédit des Sumériens ou des Egyptiens.

La révolution urbaine et l’extension du commerce provoquent dès lors la nécessité de tenir une comptabilité des échanges commerciaux. De cet impératif surgit l’invention d’un système de codes organisés qui permet l’élaboration d’un langage commun que les épigraphistes datent aux alentours de 3300 avant JC. 

Berceau de l’écriture, la Mésopotamie, née il y a près de 5000 ans, est considérée comme la première civilisation de l’histoire de l’humanité et à l’origine de la société occidentale. Et c’est à Ourouk, prestigieuse et importante cité de cette même Mésopotamie, actuellement située dans le sud de l’Irak, que l’on a découvert ce qui représente les plus anciens documents d’écriture connus à ce jour.

L’écriture dont Ourouk est à l’origine se compose de signes gravés à l’aide d’un roseau utilisé comme stylet sur des tablettes d’argile humides, qui sont ensuite séchées au soleil ou cuites au four. Plantés dans la matière molle, ces outils laissent une trace en trois dimensions, de forme triangulaire, à la façon d’un clou, qui donnera à cette écriture primitive le nom de “cunéiforme”. Son répertoire comptera jusqu’à 600 signes, les plus complexes pouvant compter douze “coins”. 


Ecriture cunéiforme. Uruk/ Dynastique archaïque II (-2700 – -2600). Musée du Louvre. Paris

Les hiéroglyphes égyptiens, écriture des dieux

Vers 3 000 av. J.-C., les premiers hiéroglyphes apparaissent dans la vallée du Nil. Contrairement aux sumériens, les égyptiens choisissent le papyrus pour tracer des signes qui sont des représentations simplifiées de la réalité : êtres humains, parties du corps, animaux, plantes, outils, etc. Au nombre de 700 vers 2 000 av. J.-C. les hiéroglyphes atteindront plus de trois mille signes entre 323 et 30 avant notre ère.

Utilisés pour transcrire les textes sacrés, la mystérieuse écriture égyptienne a traversé l’histoire pendant plus de trente siècles.

Très tôt, et jusqu’à son abandon progressif à l’époque gréco-romaine, ce système mêle des codes idéographiques et phonétiques, et unit étroitement écriture et image, puisque le dessin représente l’objet. Les hiéroglyphes évolueront ultérieurement vers un système mixte associant idéogrammes et signes phonétiques, le dessin correspondant d’une à trois consonnes.

Hiéroglyphes égyptiens. Musée archéologique de Florence/ Italie

L’alphabet phénicien, à l’origine de l’alphabet européen, a pour sa part vu le jour le jour au milieu du 2ième millénaire avant notre ère. Émergeant lentement lui-même de systèmes antérieurs, il donnera naissance à l’alphabet araméen, qui à son tour léguera certains de ses éléments aux alphabets indien, persan, arabe ou hébreu.

En Occident, il sera le fondement de l’alphabet grec qui y ajoutera entre autres les voyelles, et deviendra la matrice des alphabets étrusque, romain et cyrillique.

Alphabet grec

De l’alphabet latin à la capitale romaine

Dès la fin du VIIème siècle avant J.-C. les Romains adoptent l’écriture des Grecs,
soit sous l’influence étrusque, dont l’origine de l’alphabet reste encore aujourd’hui un mystère, soit par contact direct. Instrument de propagande exaltant la puissance de Rome, cet alphabet de lettres capitales devient la langue officielle de l’Empire et de son administration. Il s’impose petit à petit comme la langue des peuples d’Italie, et finira par influencer toutes les autres écritures latines à venir.

Ecriture majestueuse, la CAPITALE ROMAINE est utilisée dès le 1er siècle avant JC., alors qu’il faudra attendre quatre siècles pour que la minuscule apparaisse.

Dotées d’empâtements qu’il fut techniquement possible de dessiner grâce à l’invention romaine du pinceau souple à bout carré, la capitale romaine remplit un rôle à la fois fonctionnel et décoratif que l’on peut admirer sous forme de textes peints, mais également dans les inscriptions laissée dans la pierre ou le marbre, au gré des invasions et conquêtes de l’Empire Romain.

La capitale romaine s’avèrera au fil du temps la plus durable des écritures, puisque plus de 2000 ans après son apparition, sa forme n’a guère changé et ses lettres servent toujours de base à nos capitales modernes.

Capitale romaine. Musée archéologique de Munich/ Allemagne

L’évolution de la calligraphie occidentale 

L’immense variété des alphabets que l’on pourrait énumérer a de quoi dérouter l’amateur contemporain de calligraphie et cet article ne saurait en faire l’inventaire exhaustif. Cependant, un rapide voyage autour du monde de la calligraphie occidentale nous invite à découvrir ce continent étonnant.

La Rustica tout d’abord, peut se définir comme une variante élégante de la capitale romaine. Prisée entre les1er et Vème siècle par les peintres de lettres et les scribes, elle est l’écriture du livre. On la retrouve sur les rouleaux de papyrus, puis sur des parchemins, mais également sur les murs, comme à Pompéi, où, à l’aide de pinceaux, de craie ou de stylet, elle est utilisée pour tracer des graffitis ou créer des affiches électorales.

Graffitis. Pompéi/Italie

L’Onciale serait apparue en Afrique du nord entre le IIème et le IIIème siècle de notre ère. Cent ans plus tard, la désagrégation progressive de l’Empire romain laisse une place dont l’Eglise catholique se saisit pour entre autres codifier ses rites et porter le latin au rang de langue sacrée. Et c’est alors dans le secret des monastères que l’écriture onciale s’épanouit et se transforme en un instrument incontournable de la sauvegarde des textes bibliques et évangéliques que les moines copient et recopient d’une écriture aux lettres rondes, souples et majestueuses, avec la volonté de différencier ces textes divins de l’écriture populaire.

Utilisée jusqu’au VIIIème siècle, elle se caractérise par l’emploi de majuscules associées à des minuscules, ainsi que par la forme arrondie des lettres.

Onciale romaine

Dans le prolongement de l’Onciale suivra l’écriture mérovingienne,également appelée minuscule mérovingienne. Elle atteint parfois une véritable dimension artistique et sera utilisée dans les documents officiels jusqu’aux réformes de Charlemagne à la fin du VIIIème siècle. Elle évoluera ensuite vers l’écriture Caroline, moins alambiquée et donc plus lisible, dont le rayonnement sera initié par Charlemagne et ses successeurs. Ses formes, courbes et régulières, sont obtenues au moyen d’une plume d’oie dont le biseau est biaisé vers la droite, et non taillé droit comme le voulait jusqu’alors la pratique. Du fait de sa clarté et de son uniformité, la minuscule caroline domine petit à petit le continent européen et servira plus tard de modèle aux humanistes et copistes de la Renaissance italienne.

Bible de l’Abbé Maurdramnus, réalisée entre 772 et 780. Amiens/France

Plus tard, l’écriture gothique primitive trace un trait d’union entre la caroline, dont les formes arrondies vont peu à peu se resserrer jusqu’à devenir rectilignes et anguleuses, et l’écriture gothique. Largement usitée dans l’Europe occidentale entre les XIème et XIIIème siècle, l’écriture gothique délaisse les plumes à becs carrés pour les plumes à becs biseautés.

Le gain de place est certainement l’une des raisons de l’éclosion de ce style. En effet, la gothique, par son étroitesse, permet de tracer sur la page un plus grand nombre de signes et par conséquent d’utiliser moins de pages par livre. En outre, une raison d’ordre esthétique explique incontestablement le succès de cette écriture, et il est frappant de constater l’analogie de forme entre l’architecture gothique (arc brisé) en vigueur à cette époque et la brisure de l’écriture.

Gothique textura

L’écriture de la Renaissance

Tandis que l’écriture gothique est adoptée dans la majeure partie de l’Europe, une écriture plus ronde émerge en Italie. C’est l’écriture de chancellerie qui apparaît au cours du XVème siècle et qui va en particulier se développer au sein de la chancellerie papale. Plus étroite et inclinée que les écritures précédentes, raffinée et élégante, elle est l’ancêtre de l’italique et se développe rapidement dans toute l’Europe. De plus, dans la mouvance de l’invention de l’imprimerie, son format particulier s’adapte bien aux nécessités des libraires qui visent l’économie du papier en faisant entrer davantage de mots sur une même ligne.

Quatre siècles après la naissance de cette Cancellaresca, notre écriture quotidienne demeure l’héritière directe de cette révolution, et reste aujourd’hui encore source inépuisable de création pour les calligraphes.

Cancellaresca

Plus tard, c’est sous l’influence de ce graphisme que des maîtres calligraphes anglais du XVIIIème siècle vont développer une écriture aux qualités esthétiques incomparables : l’Anglaise.

Ce style, qui donne un trait élaboré par une main libre et relâchée, est entre autres le résultat d’une innovation apportée à la taille de la plume dont l’extrémité devient quasiment pointue. En découle une modification du tracé des lettres qui peuvent passer d’un trait filiforme à des pleins qui vont lui donner du volume.

La technique des pleins et des déliés est née, assurant une graphie délicate et élégante qui sera enseignée dans les écoles jusque tard dans le XXème siècle. Son prestige est tel qu’on la retrouve aujourd’hui sur tous les cartons d’invitation, faire-part, affiches ou publicités. Mais au-delà de ce rôle utilitaire, l’anglaise est sans cesse interprétée, redessinée, magnifiée par les calligraphes contemporains qui la hissent ainsi au niveau d’un art graphique reconnu.

Anglaise

L’art de la calligraphie dans d’autres cultures

Si la calligraphie occidentale présente une histoire aussi longue que riche, il en est de même pour la calligraphie indienne (IIIe siècle avant notre ère) dont le cuivre fut tout d’abord utilisé comme support.  Il fut remplacé plus tard par de l’écorce de bouleau puis des feuilles de palmier à la texture plus fine, coupées en morceaux rectangulaires de taille uniforme et rassemblées pour former des livres.


Manuscrit de Bakhshali, composé de 70 feuilles d’écorce de bouleau, remplies de mathématiques et de textes en sanskrit. Université d’Oxford/ Grande Bretagne

L’invention de la calligraphie chinoise remonte quant à elle à plus de 3000 ans, et l’on a retrouvé des caractères gravés sur des carapaces de tortues, des os d’animaux et des objets en bronze. Les supports d’écriture vont peu à peu changer, et à partir de 200 ans avant notre ère les documents de la vie courante vont être calligraphiés à l’aide de pinceaux sur du bois de bambou, de la soie ou du papier de riz.

Les caractères chinois, ou sinogramme vont également évoluer vers une simplification des caractères et le développement de nombreuses variantes. Le lishu en particulier, riche de plus de 3000 signes, utilise des traits carrés, aplatis et espacés. Les courbes sont directes et les angles aigus. Également appelé « écriture des scribes », il sera utilisé pour la rédaction de documents officiels mais aussi sur les stèles. Il reste aujourd’hui plébiscité par les calligraphes à des fins principalement artistiques.

Lishu

La calligraphie musulmane pour sa part apparait au VIème siècle et s’impose en même temps que la naissance de l’Islam. En effet, à partir de 610, les premières copies du Coran magnifient la parole sacrée du prophète. L’art de la calligraphie, en permettant d’éviter, comme l’exige la croyance, les figures et les images, s’impose comme une composante essentielle de l’art Arabo-Musulman. A l’origine outil de communication, elle est ainsi petit à petit utilisée dans l’architecture et la décoration.

Parfois appelée arabesque, elle représente le plus élevé des arts de l’Islam et traverse les époques en renouvelant son style. Elle marque le rayonnement de la civilisation islamique du Proche-Orient à l’Asie et du Maghreb à l’Andalousie. Véritable vecteur artistique et identitaire, chaque culture va ainsi développer son propre style. Il en est de même aujourd’hui encore où des calligraphes contemporains, à la fois poètes et artistes perpétuent, à l’aide d’un pinceau ou d’un roseau un savoir-faire traditionnel, tout en l’inscrivant dans la modernité.

Saïd Ben Jelloun. Oeuvre contemporaine
https://benjelloun.weebly.com/

Le renouveau de la calligraphie

Le renouveau de la calligraphie apparaît donc comme le fruit de l’assimilation des différents alphabets propres à chaque période de l’histoire de l’humanité. Ces divers styles graphiques se métamorphosent en des matériaux de base à partir desquels le calligraphe va pouvoir composer son œuvre. Grâce à l’évolution des instruments (plumes, calames, pinceaux) et des matériaux à sa disposition (papier, tissu, papier japon), le calligraphe élabore de nouvelles configurations, apporte au tracé sa touche personnelle, pour l’intégrer dans une composition située à la frontière de l’acte d’écriture et de la création artistique.

La maîtrise de son art, qui demande de nombreuses années de pratique au calligraphe, amènera ce dernier à savoir maîtriser le hasard du tracé au point de le rendre naturel.

Adoptant parfois un style totalement abstrait où inspiration et invention deviennent les maîtres mots, utilisant des supports, des formats, des matières ou des instruments inédits ou audacieux, le calligraphe se fait graphiste, poète ou peintre.

Cherchant peut-être à amener le public à appréhender une réalité cachée dans des signes et des volutes tracées avec rythme par une main sure, l’artiste calligraphe, entre relecture de la forme graphique, impulsion et maîtrise, science du passé et spontanéité de l’instant, utilise son art comme vecteur d’une culture ancestrale à la fois riche et complexe. Il transforme ainsi son art en ce qui pourrait se définir comme une démarche au carrefour de la peinture, de la poésie et de la philosophie, pour offrir aux profanes que nous sommes une porte ouverte sur un univers merveilleux.

Liberté. Encre.
Composition libre du mot Liberté en 54 langues, systèmes d’écritures ou phonétiques.
Stéphane Mazet https://calligraphieetdessin.com/

Pour aller plus loin:

https://calligraphieetdessin.com/

https://benjelloun.weebly.com/

https://www.lamaisondelacalligraphie.com/

https://delure.org/lassociation

L’abc du calligraphe. Davis Harris. Editions Dessain et Tolra.

Callligraphie. Claude Mediavilla. Imprimerie Nationale éditions

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