L’histoire du travail du cuir est intimement liée à celle de l’évolution humaine. Toutes les deux suivent les mêmes phases et les mêmes transformations : élémentaire à ses origines, le travail de la peau s’affine et se raffine au cours du temps, pour aboutir à la fabrication d’articles utilitaires, mais également artistiques ou culturels. Petit à petit, le travail du cuir se transforme en un savoir-faire d’excellence. On peut même affirmer qu’hier comme aujourd’hui, les créations des artisans d’art maroquiniers incarnent un univers de prestige et de raffinement en constante évolution.
Les origines de la maroquinerie
La peau animale est présente depuis les débuts de l’Humanité dans le quotidien des hommes. Mais il leur a fallu en acquérir les techniques de transformation pour l’adapter à leurs besoins les plus variés.
Ainsi, les vêtements et objets en peau que portait Ötzi, l’homme des glaces retrouvé en 1991 dans les Alpes (3500 à 3100 avant notre ère) témoignent de l’ancienneté du matériau et de son usage.
Des chaussures et des arcs en bois portant des bandes transversales en cuir ont été retrouvés au Soudan (Kerma) ou en Europe. Tous sont datés du troisième millénaire avant JC, mais traduisent déjà d’une grande maîtrise des techniques du travail du cuir et d’un réel savoir-faire.
Aucune information n’existe sur les procédés de la Préhistoire. Cependant, les outils en os ou en pierre destinés à racler ou écharner les peaux qui sont utilisés de nos jours par certaines communautés d’Amérique du Nord, du Groenland, de Sibérie ou d’Afrique sont les mêmes que ceux qui ont été exhumés par les archéologues.
Les premières représentations graphiques de la fabrication de sandales ou de courroies nous viennent de l’Égypte antique, où étaient déjà couramment fabriqués de petits objets en cuir comme des harnais, des instruments de musique, des outres, etc.
La cuirasse des soldats de l’Antiquité grecque et romaine présente elle aussi des pièces de cuir : celle des cavaliers grecs est constituée d’une simple pièce de cuir moulant le torse et renforcée de petits disques de bronze. Les soldats des armées romaines quant à eux portent une cuirasse élaborée à partir de lanières de cuir superposées et disposées horizontalement autour du torse.
Les témoignages attestent ainsi que la fabrication et l’utilisation du cuir sont apparues simultanément il y a des millénaires, dans des régions du globe et des civilisations très éloignées les unes des autres.
Un peu d’étymologie… et d’histoire
L’origine du mot maroquinerie nous transporte au Maroc et tire son origine du terme « Marroqun », qui désigne le fait de tanner la peau de chèvre avec les feuilles d’un arbuste, le sumac. Cette opération, qui permet de rendre la peau imputrescible, est inventée par les marocains, transmise aux musulmans d’Andalousie qui à leur tour l’apprennent aux espagnols.
C’est donc par la péninsule ibérique et à l’époque de la prédominance de la culture arabe que le travail artistique du cuir est introduit en Europe : Cordoue, capitale du Califat (VIIIème siècle), devient le principal centre de production d’un cuir qui prendra le nom de la ville. Le cuir de Cordoue, également appelé cuir d’Espagne, se caractérise par un grain d’une finesse remarquable, à la fois souple et résistant qui fera sa renommée.
Son prestige, qui s’étend dès le XIIIème siècle dans toute l’Europe, atteindra son apogée aux XVIème et XVIIème siècles. Acheminé vers la France, l’Italie et les Flandres, il est gravé, repoussé, parfois peint ou doré. Son emploi s’intensifie pour la réalisation d’articles de luxe comme des paravents, des coffres et coffrets, des panneaux muraux ou des devants d’autel.
Le maroquinier : de l’ouvrier modeste à l’artisan d’art
Cependant, ce n’est au début du XIIe siècle que le travail des peaux et du cuir commence à se développer en Europe, notamment grâce à l’émergence des classes bourgeoises, qui seules peuvent supporter les prix très élevés d’objets luxueux. Ces derniers sont alors de deux types :
Des articles civils comme des gants, bourses, étuis à couteaux, chaussures ou ceinturons, utilisés pour la vie de tous les jours, et des accessoires militaires telles les cottes de mailles où le cuir sert de base pour fixer d’autres matériaux comme le fer, le laiton ou le bronze.
Dans le sillage de cette industrie, une pluralité de métiers tels ceux de cordonnier, maroquinier, teinturier, gainier ou sellier apparaît. Concernant les tanneurs qui lavent les peaux dans l’eau courante, les rasent et les assouplissent à l’aide d’huile et d’alun, ils sont repoussés hors des remparts de la ville, en raison de la puanteur que dégage leur industrie.
Il faut attendre la Renaissance pour que le travail du cuir gagne en raffinement. Sous l’impulsion d’une clientèle fortunée, sacs, bourse, coffres et malles de transforment en pièces luxueuses. Il s’agit dès lors non seulement de transporter, mais aussi d’éblouir.
En France, sous l’impulsion de Louis XIV et de Colbert, une Manufacture Royale du Cuir est créée en 1749. Son objectif est de faire rayonner ce savoir-faire français dans toute l’Europe, tout en contrôlant étroitement les différentes techniques de production.
Au XIXème siècle, petite maroquinerie et portefeuille
Un véritable essor de la maroquinerie s’amorce au XIXème siècle, en lien direct avec le redécoupage de l’Europe né des guerres napoléoniennes. Ce bouleversement géopolitique va en effet générer la nécessité pour les individus de posséder de multiples papiers d’identités.
Dès 1835, la fabrication des portefeuilles, porte-monnaie et autres accessoires de mode en cuir porteront le nom de « petite maroquinerie » les différenciant de la maroquinerie qui couvre elle la confection de vêtements, chaussures ou objets de grand format comme la bagagerie.
La maroquinerie devient au XIXe siècle le nom d’une industrie majoritairement française et italienne. En même temps, l’artisanat de luxe se développe et les grandes maisons de luxe voient le jour : Hermès, Gucci, Louis Vuitton, Lancel…
XXème siècle, Belle Époque et Art Nouveau
Si l’esprit d’indépendance qui marque la Belle Époque donne naissance à l’industrie du luxe, les avancées techniques dans le champ de la locomotion vont quant à elles ouvrir un nouvel espace au développement de la maroquinerie : les intérieurs cuir des voitures automobiles (parfois même assortis à de petits accessoires comme les gants de Madame !) apparaissent comme le comble du raffinement. Certaines maisons se spécialisent dans la création de malles compartimentées nécessaires pour les escapades automobiles. Les aviateurs, nouveaux aventuriers des temps modernes, se protègent pour leur part du froid grâce à des combinaisons, gants et cagoules en cuir.
Un peu plus tard, les artisans de l’Art Nouveau vont utiliser ce même matériau comme support privilégié pour leurs créations, et l’utiliser abondamment pour le mobilier.
Cependant, la crise financière de 1929, la mécanisation intensive et l’invention du cuir synthétique en 1942 par Dupont de Nemours vont signer le déclin de l’art de la maroquinerie.
La maroquinerie française aujourd’hui, ou « l’élégance à la française »
La maroquinerie du XXIème siècle s’inscrit en totale continuité avec celle du siècle précédent.
Issue d’un savoir-faire reconnu, sa renommée se confond avec la représentation internationale que s’est forgée l’élégance à la française, qui allie le raffinement à l’équilibre subtil entre style, matières et finitions parfaites.
Le sac à main en particulier, objet très ancien mais accessoire de mode récent, symbolise aujourd’hui l’emblème incontournable de la femme dans la société.
Le monde du luxe ne s’y est pas trompé et de grandes maisons ont su lui insuffler un vent de renouveau, d’élégance et d’originalité, relayé par des personnalités comme Lady Diana en 1996 (Christian Dior), Brigitte Bardot ou Isabelle Adjani (Lancel).
La tradition réinventée
Depuis quelques années, la fabrication de sacs respectant les règles ancestrales connaît un nouvel engouement.
Si des maisons fondées depuis des décennies et ayant pignon sur rue s’imposent grâce à leur savoir-faire, leur exigence absolue et la qualité de leurs créations, une nouvelle génération d’artisans d’art talentueux travaillent avec passion dans le secret de leurs ateliers.
Artisan d’art maroquinier, un métier aux savoir-faire complexes
La spécificité de l’artisan d’art maroquinier s’inscrit dans la réalisation de pièces uniques, sur mesure ou en très petites séries. Son métier conjugue précision, rigueur, technique, mais également sensibilité esthétique, créativité et fantaisie.
Les articles façonnés constituent des objets de valeur, tant par le savoir-faire nécessaire à leur réalisation que par la noblesse du matériau utilisé.
A l’articulation d’une chaine de transmission entre savoir-faire d’hier et innovation contemporaine, ils sont conçus par des artisans d’art passionnés pour se transmettre de génération en génération.
Du cuir à la maroquinerie : Une transformation étape par étape
La maroquinerie nécessite un travail long, précis et minutieux. Les outils, grâce auxquels l’artisan soignera chaque détail tout au long du processus de fabrication, sont à utiliser avec adresse. La transformation de la pièce de cuir en un accessoire unique par des mains expertes demande de respecter une succession d’étapes incontournables.
La première de celles-ci correspond à la création par l’artisan du dessin de la pièce à réaliser.
Suit le patronage, au cours duquel le dessin est modélisé afin de réaliser les pièces qui serviront à la coupe du cuir. Un gabarit est alors créé, sur lequel seront définies les dimensions et les cotes de l’accessoire, ainsi que les marges de couture. En fonction du projet et pour que celui-ci prenne forme, la réalisation d’un prototype peut également s’avérer indispensable.
L’artisan va ensuite choisir le cuir en fonction du modèle dessiné et du rendu qu’il envisage pour la pièce à réaliser. Il en existe de nombreux types, que ce soit en termes d’origine, de qualité ou d’épaisseur : les peaux classiques sont le cuir de bœuf, de veau ou de chèvre. D’autres provenances sont plus exotiques comme le cuir de crocodile, de reptiles ou de poisson (galuchat, requin). Il peut être rigide ou souple, lisse ou à grains et les couleurs à disposition sont infinies.
La coupe de la matière consiste en premier lieu à écarter tous les petits défauts qui peuvent être remarqués sur le cuir. Suit le parage, où l’artisan affine les bords du cuir de manière régulière pour faciliter ultérieurement l’assemblage et le montage de chaque pièce.
Lorsque la matière est enfin prête à être travaillée, l’artisan maroquinier reporte les pièces définies par le patron en s’aidant du gabarit et d’un poinçon à gratter. Les principaux outils de découpe alors utilisés sont un couteau (couteau à parer et couteau de pelletier) et une règle en acier.
Vient alors l’assemblage, opération qui demande précision et minutie. C’est par elle que l’artisan maroquinier assemble les différentes pièces de l’accessoire.
Le cuir étant un matériau épais, le coudre à la main nécessite d’utiliser une alène qui permet de piquer préalablement la matière. Les trous doivent être faits avec précision pour obtenir une ligne de points nette. Une fois ces trous percés, les pièces sont collées afin de les maintenir ensemble lors de la couture.
Des techniques comme le rivetage ou le soudage sont également utilisées pour l’assemblage. Cependant, la qualité des coutures à la main reste la clé de la finition des pièces confectionnées sur mesure et la signature d’un d’artisanat authentique : un beau point de couture effectué par des mains expertes signe la différence avec une pièce cousue à la machine.
L’étape finale consiste à poser fermoirs, boucles, pressions, rivets, fermetures à glissières et autres bandoulières. Cette phase est fondamentale, car c’est elle qui donnera le style et l’esthétique à l’accessoire.
Enfin, il ne reste plus qu’à peaufiner les détails dans une opération de finissage qui permet à l’artisan d’art maroquinier de traquer les moindres irrégularités et autres petits défauts de la pièce.
La création d’une pièce ou d’un accessoire en cuir demande donc de nombreuses heures. Mais c’est un produit d’exception et d’une durée de vie quasiment illimitée qui sort des mains, puis de l’atelier de l’artisan d’art maroquinier.
Par son savoir-faire, combinaison de patience, de persévérance et de créativité, ce dernier cherche en permanence l’équilibre parfait entre l’alliance d’une matière noble et la perfection des lignes et des proportions de l’objet, accessoire ou article qu’il a imaginé puis façonné avec talent.
Pour aller plus loin…
Merci à Amalvi Pimenta de nous avoir confié les photographies de son merveilleux travail. Merci également à Gabrielle Froidevaux pour le prêt de photo.
Vous trouverez d’intéressantes informations complémentaires sur les sites et dans les livres suivants:
https://gabrielle-froidevaux.com/
https://eu.delvaux.com/fr/depuis-1829
Cuir et parchemin. Claire Chahine. CNRS éditions (2013)
Le cuir. Maria Teresa Llado I Riba et Eva Pascual I Miro. Éditions Gründ (2007)