La pipe est un objet tellement familier que l’on se pose rarement la question de son origine ou de sa fabrication. Pourtant, celles-ci recèlent bien des surprises.
Les origines mystérieuses de la première pipe
Malgré la présence de traces de l’existence et de l’utilisation de la pipe sur tous les continents et à toutes les époques, il est difficile de dater son apparition avec précision.
Si dans l’inconscient collectif l’image de la pipe est étroitement liée aux coutumes des indiens des plaines d’Amérique du Nord, la plus vieille pipe au monde date de 500 av. J.-C. Réalisée dans des fragments d’os, elle a été retrouvée en Europe.
D’autres pipes, fabriquées à partir de bois ou de roseaux, étaient utilisées pour fumer des herbes diverses, considérées comme porteuses de vertus thérapeutiques. C’est ainsi que le brûle gueule, adopté plus tard par les peuples grecs, romains, germaniques ou celtes, servira à fumer des plantes comme les feuilles de tilleul.
Parallèlement, d’autres spécimens, datant de la même époque, ont été retrouvés par des archéologues en Amérique Latine. Ces pipes précolombiennes permettaient de fumer la plante typiquement américaine qu’est le tabac. Cultivé alors pour ses vertus thérapeutiques, ce dernier était à l’origine roulé en forme de gros cigare appelé « Tabaco » ou fumé grâce à une pipe présentant un foyer à angle droit avec le tuyau.
La pipe, un objet au service de rituels sacrés
En dehors de son rôle thérapeutique, le fumage de pipe faisait également partie pour certains peuples du rite sacré de passage de l’enfance à l’âge adulte.
Chez les Sioux et les Apaches, dont le rituel de fumage du calumet de la paix a durablement marqué nos esprits, la pipe symbolise la terre avec ses éléments féminin (le foyer de la pipe) et masculin (le tuyau). Pour eux comme pour les sages hindous qui inhalent des volutes de chanvre depuis des siècles, la fumée, élément sacré, symbolise et matérialise l’élément divin ou le contact avec le Grand Esprit.
La cérémonie durant laquelle est fumé le calumet, pipe sacrée, lie la terre, les humains et le ciel : la fumée emporte vers le Grand Esprit les pensées et les souhaits de ceux qui participent à la cérémonie.
Fumer le calumet est en outre considéré comme un signe d’apaisement, de bonne entente et de paix.
Pour les peuples nomades de Mongolie, le rituel du fumage, au cœur de la steppe, à l’aide de pipes le plus couramment fabriquées en bois de saule, correspond à un échange symbolique de salutations associant respect et amitié envers l’autre.
La pipe, miroir de l’évolution des civilisations
Si l’on a retrouvé des traces de l’utilisation de la pipe dans la plupart des civilisations, il s’avère que cet instrument a évolué en fonction des progrès de celles- ci.
Ainsi des pipes en fer ont-elles été retrouvées lors de fouilles de forges préhistoriques. D’autres, en terre, ont été mises à jour dans la plupart des civilisations disparues. Elles seront remplacées plus tard par des pipes en porcelaine.
Certains spécimens, retrouvés sur le continent africain, sont taillés dans de la pierre. Dès lors, plus la pipe est massive, lourde, plus elle symbolise le pouvoir du chef de tribu.
L’apparition de la pipe en Europe
Il faut attendre Christophe Colomb et les grands navigateurs pour que les plants de tabac arrivent en Europe à la cour d’Espagne, avant de partir à la conquête de notre continent.
L’art de la fabrication et de l’usage de la pipe à tabac commence en 1575 en Angleterre, avant de s’étendre à la Hollande puis à la Belgique. Les premières pipes françaises voient le jour en 1648 à Dieppe et à Dunkerque.
Les XVIIème et XVIIIème siècle seront l’âge d’or la pipe en terre, objet fragile mais bon marché. Son foyer, de petite taille, correspond alors à un usage lié au prix élevé du tabac.
Le Général d’Empire Lasalle, qui répète « qu’un soldat qui ne fume pas n’est pas un bon soldat », fait entrer le brûle gueule dans le paquetage du grognard. Napoléon 1er lui- même ordonne la réalisation d’un modèle spécifique de cet objet pour récompenser ses meilleurs combattants.
Au XXeme siècle, la pipe gardera au sein de l’Armée ses marques de noblesse, symbole du poilu ou de l’officier britannique. Des périodes de conflits traversées durant ce siècle naîtrons des expressions faisant aujourd’hui partie de notre patrimoine linguistique comme « Aller au Casse- pipe » ou « Casser sa pipe ».
La pipe, spectateur insolite de la société
Si en Europe, le fourneau de la pipe est resté jusque-là lisse et sans caractère, il se transforme au cours du XIXème siècle en support pour l’imagination sans limites des pipiers : romantique, satirique ou cocasse, les artisans s’inspirent des modes ou des scènes de la vie quotidienne pour décorer et sculpter cet objet et le transformer en témoin muet des mouvements de toute une époque.
Parallèlement aux pipes populaires se développe également la fabrication et la commercialisation de pipes sophistiquées en porcelaine, corne, bois de cerf ou ambre.
Une nouvelle venue : la pipe en bruyère
C’est également en ce milieu du XIXème siècle qu’un nouveau type de pipe, plus adapté au quotidien des fumeurs va s’imposer : la pipe en bruyère.
L’essor va survenir lorsque des artisans vont découvrir les propriétés de la racine de bruyère, dont le bois ne brûle pas et ne dénature pas le goût du tabac.
Ces pipes, de notoriété mondiale aujourd’hui encore, ont fait à partir de cette époque la renommée d’une petite ville du Haut Jura : Saint Claude.
C’est ainsi que, grâce au travail minutieux et au savoir- faire unique des artisans pipiers de grandes maisons comme Butz-Choquin, Chacom ou Genod, cette petite cité française s’est élevée, depuis la fin du XIXème siècle, au rang de capitale mondiale de la pipe.
Et ce sont des Maîtres pipiers au talent rare comme Pierre Morel, Roger Vincent ou Sébastien Beaud qui perpétuent aujourd’hui ce savoir-faire hors du commun.
La pipe, une véritable star !
Si au fil du temps la pipe a été délaissée par la classe moyenne au profit de la cigarette, elle se transforme au XXème siècle en un accessoire plébiscité par les scientifiques, artistes, penseurs et hommes de lettres.
On la retrouve ainsi compagne inséparable d’Einstein, du général MacArthur, mais aussi de Brassens, Hitchcock, Sartre ou Simenon.
Elle incarne des personnages devenus mythiques comme les loups de mer Popeye ou le capitaine Haddock. Elle est également et régulièrement mise à l’honneur par Walt Disney dans ses dessins animés, qu’il s’agisse de Merlin l’Enchanteur, de Gepetto, ou du Dodo d’Alice au Pays des Merveilles.
Elle est indissociable de héros littéraires lancés sur la piste du crime comme Maigret ou Sherlock Holmes, et est devenue avec le temps un élément de la culture cinématographique : Lino Ventura la fume dans « La bonne année » de Claude Lelouch, Christopher Waltz et Léonardo font de même dans les films de Quentin Tarentino, « Inglourious Basterds » et « Django Unchained ».
Enfin, elle inspire les délires les plus surréalistes de grands artistes comme Magritte.
Artisan pipier : de la matière brute à l’objet unique
Il n’existe ni formation initiale, ni formation continue pour apprendre le métier de pipier sur bois. Cependant, le savoir- faire du maître pipier est unique et complexe. Il ne peut de ce fait s’acquérir qu’avec l’expérience et la pratique.
Le temps nécessaire à la réalisation d’une pipe simple varie entre 30 minutes et une heure et demie, celle d’une pipe sculptée pouvant nécessiter de 70 à 100 heures de travail.
La bruyère arborescente, utilisée pour la fabrication des pipes, est un arbuste qui pousse à l’état sauvage sur le pourtour méditerranéen. De cette plante est extraite une excroissance appelée broussin, située entre la racine et le tronc, qui sera utilisée pour la fabrication de la future pipe.
De ce broussin est tiré l’ébauchon, morceau de racine dont la forme a été dégrossie et qui, après séchage, sera taillé pour être transformé en pipe.
Entre la réception de l’ébauchon et la création de la pipe, l’artisan pipier passera par une quinzaine d’étapes :
Après avoir trié les ébauchons en fonction de leur qualité et de leur taille, ce qui déterminera les proportions du foyer, l’artisan pipier confectionne le foyer et la tige de la pipe.
Puis, grâce à un travail minutieux de fraisage, de perçage et de râpage, il esquisse la forme de la future pipe, afin de lui donner son volume et son galbe.
Au stade suivant, l’artisan d’art assemble la tête et le tuyau de la pipe.
Vient alors le polissage de l’objet, ainsi qu’un travail éventuel de masticage qui mettra en relief les particularités de l’ébauchon sélectionné.
Le ponçage de la pipe, qui lui donne son aspect brillant, sera suivi d’un décrassage et d’un cirage de la tête dans le but d’en uniformiser la couleur.
Enfin, chaque pipe est marquée du nom du fabriquant.
C’est ainsi que de la racine brute du bois de bruyère, va émerger grâce au travail de patience et de minutie de l’artisan d’art pipier, un objet unique et raffiné, pour le bonheur des amateurs et des passionnés qui considèrent ce plaisir comme un véritable art, méritant de ce fait le meilleur : une pipe unique, à l’image de son propriétaire, résultat d’un travail d’artiste, lui- même hérité d’un savoir-faire ancestral et multiculturel.
Pour aller plus loin…
http://www.musee-pipe-diamant.com/
Merci à La pipe qui rit pour la mise à disposition de leurs merveilleuses photographies que vous pouvez retrouver sur leur site. Vous y trouverez également une mine d’informations passionnantes sur l’univers de la pipe.