La broderie or, un art qui illumine le monde

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  • Publication publiée :5 janvier 2025

La broderie d’or et la broderie métallique désignent toutes les broderies exécutées à partir de matériaux métalliques ou imitant le métal : or, argent, cuivre, aluminium, sous forme de fil, de cordon, de galon, tresse ou paillettes. Traditionnellement réservée aux pièces de prestige, elle consiste à coucher les fils métalliques à la surface d’un support avant de les fixer sur ce dernier à l’aide d’une aiguille.
La broderie or utilise des fils creux comme la cannetille ou le jaseron (fil métallique tourné comme un ressort) ainsi que d’autres modules ou fils métalliques. La technique demande application, patience et régularité dans l’exécution des points.

Jaseron/Musée des grenadières/©CBàlG
https://www.grenadieres.com/

Les savoir-faire liés aux différentes origines de la broderie or foisonnent de techniques minutieuses et parfois intrigantes qui imprègnent depuis toujours cet univers synonyme de raffinement.

La broderie or à l’aube des civilisations

La broderie a sans doute été pratiquée dès la préhistoire, lorsque nos lointains ancêtres ornaient leurs textiles à l’aide de fragments d’os et de morceaux de fourrure.
Les premières traces de la broderie or remontent quant à elles à la Chine ancienne, entre 1600 avant JC et 221 avant JC. Dès l’origine cette technique sera réservée aux vêtements impériaux et de cérémonie. Si l’utilisation des couleurs et des matières était strictement réglementée, la broderie or était réservée aux vêtements de cérémonie, notamment les tuniques et les vêtements impériaux. La pratique qui consistait à broder les fils d’or en spirales servait à représenter des dragons, des oiseaux et des monstres. L’utilisation des fils d’or positionnés par paires et en lignes fines donnait corps à des nuages stylisés ou soulignait la finesse des broderies de soie.

Phénix brodé. Dynastie Zou (722-221 Avt.JC)

Plus tard, l’art de la broderie or se répandra jusqu’au moyen Orient, en particulier dans la ville de Tyr qui deviendra un haut lieu de la broderie d’or. Suivront l’Afrique du Nord, l’Europe de l’Ouest par le biais des marchands et de la route de la soie, les Îles britanniques, la Scandinavie et l’Amérique du Nord.
Tarquin l’Ancien, cinquième roi légendaire de Rome (616 av. J-C à 578 av. J-C) et grand bâtisseur, aurait été le premier à porter une robe brodée d’or. Plus tard, le goût pour cet art somptueux semble avoir été très grand à Rome : les hauts dignitaires de l’Empire appréciaient de porter « la toge triomphale de pourpre à bande et broderie d’or » (Colette Ferrari/1979). Ailleurs, d’autres découvertes archéologiques mettront au jour près d’Athènes (Korpi), des pièces de lin originaires de Perse et brodées de fils d’argent (500 av. J.C.).
D’après de nombreux auteurs, c’est cependant la civilisation byzantine qui aurait porté la technique à son plus haut degré d’expression, au point que l’utilisation de l’or dans les broderies surchargeait tellement ces dernières que les vêtements en étaient raidis et ne laissait plus deviner la ligne du corps humain.

Rondelles brodées du manteau de Philippe de Souabe, attribué à Byzance ou à Sicile, dernier quart du XIIe siècle

On retrouve également la description d’étoffes brodées d’or dans des textes fondateurs comme l’Ancien Testament (Exode) où la tunique en lin portée par Aaron, est décrite comme brodée « en or, en fil bleu, pourpre et cramoisi … selon l’art du brodeur ».
De la même manière dans le psaume XLIV, la Bible célèbre « la fille du roi éblouissante dans sa robe toute travaillée d’or ». Dans l’Odyssée également le manteau de pourpre laineux d’Ulysse est décrit comme brodé « d’un ouvrage d’art » représentant un chien tenant un jeune cerf tacheté, les deux animaux étant brodés en or.
Dans le monde islamique et dès le VIIIème siècle, l’art du textile représente un fort marqueur de savoir-vivre. Les motifs, de formes géométriques et linéaires viennent ennoblir des tissus déjà enrichis de versets coraniques ou de louanges à son propriétaire. Ainsi l’historien égyptien Hasan Ibn Zulaq rapporte qu’un tissu brodé d’or et de pierres précieuses était utilisé lors du pèlerinage à la Mecque afin de signifier le pouvoir et la dominance du califat.

La broderie or, art majeur de l’Empire Ottoman

L’Empire ottoman, fondé à la fin du XIIIe siècle (1299) au nord-ouest de l’actuelle Turquie, comprenait la Grèce, la Syrie, la Palestine, l’Algérie et la Bulgarie. Véritable berceau des arts il a entre autres permis à la broderie or de se répandre dans le monde occidental.
A partir du XVIe siècle, la Régence d’Alger, dans le giron de l’Empire Ottoman, connaît une période de grande prospérité et devient le centre d’un commerce florissant d’étoffes rehaussées d’or et d’argent, s’appuyant sur une population cosmopolite et des flux d’échanges qui traversent la Méditerranée. Ce dynamisme commercial profitera à l’artisanat, mais aussi à la broderie qui s’enrichit par le biais de la « sublime porte » d’où arrivent les arts d’Orient avec leurs variations turques, byzantines, persanes, voire indiennes et chinoises.
Au Maroc également, les codes vestimentaires renvoient à des critères d’appartenance sociale, ethnique et religieuse. Ainsi en est-il pour le caftan, vêtement emblématique du patrimoine marocain, qui incarne l’histoire, la culture et l’art ancestral du pays. Pièce maîtresse de la garde-robe, porté depuis le XVIème siècle par les sultans et la noblesse, il symbolise le luxe et l’élégance. Chaque caftan raconte une histoire et porte une signification culturelle. Les tissus somptueux à partir desquels il est confectionné (velours, soie, brocart, satin) sont rehaussés de broderies qui utilisent des fils d’or ou d’argent qui ajoutent une touche de brillance aux motifs complexes comme ceux de la broderie « randa », qui se caractérise par ses motifs géométriques et floraux tout en délicatesse.

La broderie indienne Zardosi, un héritage royal

Cette broderie traditionnelle dont l’étymologie persane signifie « couture avec du fil d’or » permettait à l’origine d’embellir le trousseau des princesses indiennes et les vêtements d’apparat des cours moghol, ainsi que les palanquins et le fourniment des chevaux et des éléphants.

Djalal al-Din Muhammad Akbar. Akbar, souverain de l’Empire moghol (1556 à 1605)

A l’origine, cette technique utilisait de l’or et del’argent qui étaient battus en fils fins avant d’être brodés sur de riches tissus tels que la soie et le velours. L’ajout de pierres précieuses et même de feuilles d’or visait à enrichir encore plus la broderie elle-même.
Après une mise en sommeil de plusieurs siècles, cette pratique complexe retrouve aujourd’hui une vraie place dans les arts textiles contemporains, grâce à sa mise en lumière par de talentueux brodeurs. Si de nos jours la plupart des broderies Zardozi sont réalisées avec des fils de cuivre polis à l’or ou à l’argent, ce savoir-faire ancestral a su s’adapter à notre époque tout en préservant la tradition. On peut ainsi admirer des créations fascinantes combinant le travail complexe de Zardozi sur des tenues contemporaines portées par des mannequins ou des personnalités lors d’évènements ou de défilés de Haute couture.

Détail de broderie Zardozi/
https://neelam.fr/la-broderie-zardosi/

L’art russe de la broderie or

En Russie, si la broderie or apparaît à Torjok au XIIIe siècle, elle se développe dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Inspirée des broderies byzantines, magnifie les motifs floraux traditionnels russes, mais s’inspire aussi des animaux ou de figures géométriques. Elle est réalisée grâce à des fils dorés et argentés apposés sur du cuir, du daim, du velours, de la soie ou de la laine. La broderie est ensuite complétée par des perles, des fils et des pierres semi-précieuses. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’évolution de la mode provoque la quasi disparition de ce savoir-faire qui perdure aujourd’hui grâce à l’organisation d’expositions au musée situé dans l’ancienne usine de broderie et d’orfèvrerie de la ville de Torjok.

Musée de Torjok

La broderie or en Europe

En Europe et en Angleterre les XIIIème et XIVème siècle voient se développer l’art de la broderie au travers de la broderie liturgique. Elle s’accompagnera très vite de la création d’ateliers sur le continent tout entier. Chaque pays adopte son propre style, le plus abouti étant sans doute l’opus anglicanum britannique, broderie aux fils d’or et de soie, dont les pièces les plus anciennes connues à ce jour sont datées de 901 (étole de Saint Cuthbert) et 916 (manipule de Saint Cuthbert).

Manipule de Saint Cuthbert(916) Cathédrale de Durham (Royaume Uni)

La fonction de cette broderie intimement liée à la chrétienté est double : Elle permet tout d’abord, à l’instar des vitraux des lieux de culte, d’illustrer la foi, de raconter la Bible et de magnifier Dieu. D’autre part, les motifs colorés, exécutés à l’aiguille, rehaussés de fils d’or et d’argent viennent sublimer le vêtement sacerdotal, valorisant la fonction de ceux qui représentent l’Église et les distinguant définitivement des profanes.

Ornement de la canonisation de François de Sales. 1660. Détail de la chasuble. Visitandines de Riom/Musée de la Visitation (Moulins)/©C.Monplaisi
https://www.musee-visitation.eu/

Au XVème siècle, la broderie or sort du périmètre religieux pour illuminer de ses fils d’or et d’argent les vêtements des classes aisées, des membres de la Cour et des monarques. Les ateliers installés en France, en Italie et aux Pays Bas développent alors la technique de l’or nué qui prendra très vite l’ascendant en Europe et dominera l’univers de la broderie durant plus de trois siècles. Elle consiste à disposer des fils d’or sur un fond puis à les recouvrir perpendiculairement, en les embrassant deux par deux, par des points de soie colorés et nuancés.
Elle sera définie par le jésuite Étienne Binet (1569-1639) qui reste à ce jour l’auteur de l’une des plus anciennes définitions à vocation pédagogique de l’or nué qui nous soient parvenues :
« Or nüé, c’est l’or qui se lance aux bouts, il est nüé de soye, c’est pourquoy il se nomme nüé ; car faites estat que la beauté de la broderie consiste en un artiste meslangé de couleurs ; l’or tout seul est riche, mais n’est pas gay, partant on le nüe, on l’ombrage, on le diversifie, y façonnant dessus avec la soye de diverses couleurs mille sorte de fantasies » (1621)

Paris, musée du Louvre, Claude de Lucz/ Parement haut de la chapelle de l’ordre du Saint-Esprit, La Pentecôte (détail de l’un des personnages du médaillon central)/1585-1587/© A. Castres

Cette technique, extrêmement chronophage, perdurera jusqu’au XVIIIème siècle avant d’être petit à petit délaissée, puis réhabilitée au XIX siècle. On retrouve des traces de cette renaissance dans « Le rêve », roman dans lequel Émile Zola fait redécouvrir le secret du procédé à son héroïne, Angélique, une orpheline recueillie par les Hubert, couple de brodeurs de Beaumont-sur-Oise :
Elle suivait ce dessin, cousait les fils d’or de points de soie en travers, qu’elle assortissait aux nuances du modèle. Dans les parties d’ombre, la soie cachait complètement l’or ; dans les demi-teintes, les points s’espaçaient de plus en plus ; et les lumières étaient faites de l’or seul, laissé à découvert. C’était l’or nué, le fond d’or que l’aiguille nuançait de soie, un tableau aux couleurs fondues, comme chauffées dessous par une gloire, d’un éclat mystique.

Le siècle de Louis XIV

Durant le Grand siècle et sous l’impulsion de la Manufacture Royale de la couronne créée par Louis XIV, la broderie or investit l’univers de la décoration d’intérieur sous la forme de tentures, rideaux et autres habillages de sièges. C’est sous le règne de cet amoureux des arts que Mr de Saint Aubin, dessinateur de la Cour, définit le dessin comme « base et fondement de la broderie ». Et c’est sous son influence qu’est lancée la technique du « ronde bosse », qui consiste à bourrer les motifs que l’on souhaite broder afin de leur donner un volume évoquant la sculpture. Le savoir-faire se perfectionnant, des plaques d’or ou d’argent seront petit à petit insérées dans les compositions, auxquelles seront associées des techniques comme l’or nué ou les couchures, mais aussi des matériaux précieux comme la soie ou les perles.
C’est aussi au cours de ce règne que la broderie or commence à chamarrer les habits militaires des armées de Louis XIV.
En 1666, le monarque et son ministre Colbert décident également de transformer la ville de Rochefort en place stratégique de la marine française. Simultanément de nombreux ateliers de brodeurs s’y installent avec comme mission l’ornementation des parures des militaires. Pour ce faire, les brodeurs (et parfois même les militaires eux-mêmes) deviennent experts dans le travail de la cannetille, fil de métal verni d’or, qui permet de broder les uniformes et les drapeaux destinés à l’armée.
Plus tard, Napoléon adoptera la broderie or comme élément obligatoire des costumes de cérémonie des préfets, ambassadeurs, académiciens et autres policiers et gendarmes.

Aimable-Jean-Jacques Pélissier, duc de Malakoff, maréchal de France/
© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot

La filière restera vivante jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, avant de décliner. Ce n’est qu’en 1993 que la broderie or retrouve pignon sur rue, sauvée à Rochefort par Marie-Hélène César qui crée un brevet des métiers d’art de la broderie, orienté vers la broderie d’art. Elle ouvre également en centre-ville l’atelier du Bégonia d’or, brillamment repris par l’actuelle Maître d’art Sylvie Deschamps, qui veille à la fois à la sauvegarde et à la transmission de ce savoir-faire unique, mais aussi à sa réorientation au travers de collaborations éblouissantes avec le monde du luxe et de la Haute couture.

Étoile dessinée par Jean-Michel Othoniel, artiste plasticien pour Le Bégonia d’or/
http://​www.broderieor.com

Ailleurs en France, la broderie au fil d’or s’installe à la fin du XIXème siècle sur le territoire du Forez (Loire). Dans cette région également, le travail des brodeuses est principalement destiné aux militaires qui réalisent en grandes séries le motif de la grenade, qui leur donne le surnom de Grenadières. Peu à peu, le travail s’étend aux autres corps militaires, puis aux broderies civiles à destination de diverses structures publiques ou privées.

Au fil du XXe siècle, cette activité jusqu’alors annexe dans les foyers se transforme en la source principale de revenus de nombreuses familles : Dans les années 50, cinq cents grenadières travaillent à satisfaire à la commande publique et privée : armée de terre, douane, légion étrangère, mais également services publics comme la SNCF, les PTT ou EDF…
Parallèlement, les grenadières les plus talentueuses se voient confier l’embellissement de pièces uniques et prestigieuses comme les uniformes de hauts dignitaires du monde entier, mais aussi des vêtements sacerdotaux et les costumes de l’Académie française.
C’est au cours des années 1980 que le métier va commencer à décliner, en raison de la diminution des commandes, les insignes étant dès lors brodés à la machine. Si les grenadières ont aujourd’hui totalement disparu, l’association des Grenadières du Haut Forez créée en 2012 travaille à la sauvegarde de ce savoir-faire exceptionnel.

Maison des grenadières, Atelier-musé de la broderie au fil d’or/©Maison des Grenadières/
https://www.grenadieres.com/

Broderie or et Haute couture aujourd’hui : Une renaissance

La broderie or a traversé les âges, les continents et cultures. Après des mises en sommeil plus ou moins longues, les savoir-faire hérités de siècles de pratique reviennent en force aujourd’hui, porteurs de rêve et de magie.
Artistes, designers, couturiers, en collaboration étroite avec des brodeurs d’exception comme Sylvie Deschamps, Maître d’Art brodeuse au fil d’or et référence incontournable de cet art particulièrement raffiné et complexe, rivalisent d’imagination pour faire entrer la broderie d’art dans l’univers de la joaillerie, de l’horlogerie, d’objets luxueux et bien sûr de la Haute couture.

En même temps, l’utilisation de fils et de matières dorées a rendu accessible à l’amateur passionné ou simplement curieux ce savoir-faire fascinant, donnant à cette technique une visibilité accentuée par la passion de la transmission qui anime les artisans brodeurs. Ainsi, chacun peut aujourd’hui apprendre à poser à l’aiguille jaseron ou cannetille (fil de métal enroulé en spirale), créer des reliefs, pratiquer la couchure, le point de pierre ou le pailletage torsadé, poser des paillettes ou des perles…. Pour créer avec patience et précision son propre univers, dès lors que le brodeur amateur sache faire preuve de ténacité et de persévérance.

Pour aller plus loin…

Merci au Bégonia d’or, à la Maison des Grenadières et à Neelam pour leur accueil et l’autorisation d’utilisation de leurs photographies.

Vous retrouverez leurs activités sur leurs sites:

Le Bégonia d’or: https://www.broderieor.com/

La Maison des Grenadières: https://www.grenadieres.com/

Neelam: https://neelam.fr/la-broderie-zardosi/

Vous trouverez également une source importante d’informations sur le site du Musée des Visitandines de Moulins (à visiter absolument!): https://www.musee-visitation.eu/musee/

Références bibliographiques:

Des premiers témoins médiévaux aux broderies des Clarisses de Mazamet : une petite histoire de l’or nué (XIVe-XXe siècle): https://journals.openedition.org/pds/6733

La broderie or de Rochefort/ Sylvie Deschamps (2021)