Le canotier : l’élégance au soleil

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  • Publication publiée :2 juillet 2023

Les origines

Si l’histoire raconte que le premier chapeau de paille fut confectionné en 1796 par Prétronille Cantecor, bergère dans la commune de Sepfonds près de Caussade (Tarn et Garonne), le canotier fut longtemps le couvre-chef des marins. Son nom tire son origine de l’espagnol « canoa », dérivé du mot « canot » qui désignait un petit bateau propulsé à la rame. Et bien avant de s’appliquer à un chapeau, le canotier définissait un marin dont la tâche consistait à propulser les canots depuis les navires dans le but d’embarquer ou de débarquer l’équipage.

C’est dans le milieu de la marine du XVIIIème siècle que l’on trouve les origines du canotier. En effet, les matelots de cette époque portent souvent un chapeau de paille, coiffure à la fois légère et bon marché pour se protéger des éléments. Deux modèles principaux avaient leur préférence: en paille nue pour les climats chauds; imperméabilisé par une couche de goudron en cas d’intempérie.

Pétronille Cantecor

Entre arts et romantisme

Si le canotier resta longtemps circonscrit au milieu marin, il commence à se répandre dans le civil au cours du XIXème siècle. Tout d’abord élément vestimentaire de la mode enfantine, il devient l’accessoire incontournable des amateurs de canotage et par là même de la garde-robe masculine.

Son succès remonte au règne de Napoléon III qui développe une politique en faveur du tourisme, des loisirs et tout particulièrement de la pratique du canoé sur les rivières de France. Dans les années 1840, la préfecture de Paris autorise la circulation des canots sur la Seine, ouvrant la voie à un engouement grandissant pour les sports nautiques.  L’enthousiasme pour les canaux de plaisance et les guinguettes qui fleurissent sur les bords de Seine vont ainsi accélérer la renommée de ce chapeau de paille. En effet, pour profiter pleinement des plaisirs de la promenade nautique, les hommes allègent leur tenue vestimentaire et commencent à se coiffer d’un canotier pour se protéger du soleil.

Pour les mêmes raisons, le canotier deviendra également populaire en Angleterre ainsi qu’à Venise, où, associé à la chemise à rayures, il fait encore aujourd’hui partie intégrante de la tenue traditionnelle des gondoliers.

Gondolier

Avec son rebord plat et son large ruban, la forme particulière du canotier est vite associée à l’idée de divertissement. Il est prisé des dandys sportifs adeptes de sports de plein air. Cherchant à mêler activité de flânerie et bon temps, ils le portent avec désinvolture de deux manières différentes : incliné vers l’avant ou penché sur le côté.

Les peintres de l’époque vont se saisir de cet objet de mode pour traduire l’atmosphère de la fin du XIXème siècle. Ainsi Auguste Renoir peindra-t-il « Le Déjeuner des canotiers », « les canotiers à Chatou » ou encore « la Grenouillère ».

Le déjeuner des canotiers. Auguste Renoir/ 1880-1881 (Phillips Collection/ Washington)

Son côté léger et pratique attirera également les femmes qui l’adoptent à leur tour. Moins rigide que son homologue masculin, ce chapeau de paille était souvent fixé aux cheveux par une épingle à chapeau. Parfois orné de fleurs, il leur permit de se libérer des encombrants chapeaux de la fin du XIXème siècle. Gabrielle Chanel, poussée par son esprit anticonformiste l’adoptera à son tour pour le transformer en un de ses accessoires de mode emblématique, totalement à l’encontre des chapeaux incommodes de l’époque.

Tessie Reynolds, l’une des premières femmes à enfourcher un vélo (1893)

Indémodable canotier

Sommet de l’élégance d’été à la belle Epoque, le canotier sera progressivement remplacé par le Panama après la première guerre mondiale. Cependant, il conservera une vraie popularité auprès des comédiens et des gens du spectacle des années folles, comme Fred Aster ou Maurice Chevallier, qui l’élèvent à la place d’accessoire incontournable du Music- Hall. Le chansonnier français contribuera d’ailleurs à la longévité du couvre- chef, le portant en toute circonstance, et allant jusqu’à lui dédier une chanson en 1962 : « Le twist du canotier ».

Maurice Chevallier

Avec mon canotier
Sur le côté, sur le côté
J’ai fait danser le twist
Le twist ?
Au monde entier…

D’autres grands noms ou films le mettront à l’honneur, telle la sublime Audrey Hepburn en 1950, ou Mary Poppins en 1964.  Cependant, comme les autres chapeaux, le canotier amorce un déclin vertigineux dans les années 1960, même si certains artistes continueront à s’en couvrir, comme Jean Marc Thibault, Mireille Mathieu ou Raymond Devos.

Raymond Devos/ 1998

Plus près de nous, il est parfois la pièce maîtresse des tenues de musiciens de jazz, et on le retrouve dans des films d’époque avec des acteurs comme Audrey Tautou (Coco avant Chanel/2009) ou Leonardo Di Caprio (Gatsby le Magnifique/ 2013) qui le portent avec élégance.

Il conserve également toute sa place parmi les accessoires de mode et on le retrouve régulièrement dans les défilés de Haute couture.

Audrey Tautou
(Coco avant Chanel/2009)

Loin du monde du spectacle, il fait encore aujourd’hui partie intégrante de l’uniforme des écoliers en Grande Bretagne, en Australie, en Nouvelle Zélande ou en Afrique du sud.

Avant le canotier, la paille

Le canotier est un chapeau de forme ovale à fond et bords plats. Sa structure en paille tressée est rigide et il est traditionnellement agrémenté à l’extérieur d’un ruban gros-grain à rayures ou uni, de couleurs ou styles différents.

La ville de Caussade, dans le Tarn et Garonne, fabrique des chapeaux de paille depuis 1824 et ses canotiers coifferont les plus grandes stars de l’entre- deux guerres, faisant la renommée de cette petite commune.

Mais pour fabriquer un beau canotier, il faut tout d’abord choisir une paille de qualité. Les fabricants français qui respectent les traditions ancestrales utilisent la tresse plate du Haut Quercy, dont la préparation constitue déjà à elle seule tout un art. Ils achètent des ballotins de tresses plus ou moins larges en fonction du type de chapeau qui sera fabriqué.

Le seigle est coupé avant la formation des grains, afin d’obtenir une paille fine et délicate. Puis les feuilles sont séparées, les tuyaux triés par longueur et les nœuds coupés.

La paille est alors laissée à blanchir au soleil, puis immergée dans un bain de soufre.

La tresse est constituée d’un nombre variable de brins de paille, en fonction de la taille et de la qualité souhaitée. Elle est ensuite aplatie entre deux rouleaux par la machine à cylindres.

Paille tressée

La confection du canotier : tout un art !

Réaliser un canotier ou tout autre chapeau en paille cousue en respectant les traditions de fabrication nécessite l’utilisation d’un matériel bien spécifique, plus que centenaire, puisque le tressage, le formage et même la teinture de la paille sont réalisés à la main. Ainsi va-t-on utiliser des machines à coudre spécifiques au façonnage de la paille, des formes en aluminium q et des presses qui donneront leur forme finale aux différents chapeaux.

Avant de confectionner les chapeaux en paille cousue, la matière première est trempée dans l’eau tiède, puis mise au séchage pendant une journée. Cette étape est essentielle pour travailler sans que les tresses ne se cassent.

La première étape consiste à coudre les tresses de paille selon une méthode immuable : La piqueuse déroule l’écheveau de paille et installe la tresse sur un dévidoir en bois. Au cours du travail de couture, ce dernier tournera sur lui-même, permettant à la paille de se placer harmonieusement au fur et à mesure de l’avancée du travail.

Dévidoir à paille tressée

La piqueuse confectionne tout d’abord à la main la partie centrale de la pièce, appelée le bouton. Puis, installée devant une machine à coudre spécifique inventée en 1875, elle réalise un point de chaînette d’un geste fluide pour assembler la longue tresse plate. Cette machine à coudre très spéciale ne dispose pas de canette et la couture s’effectue à l’aide d’un seul fil.

Le geste nécessite un véritable savoir-faire car la piqûre doit être régulière. En effet, l’amoncellement de points au même endroit provoquerait un amas de fil disgracieux à la surface de la paille.

L’atelier de la piqueuse Musée de l’épopée chapelière/ Caussade (Tarn et Garonne) Photo C. Monplaisi
https://www.tourisme-tarnetgaronne.fr/offres/lepopee-chapeliere-caussade-fr-2357260/

Peu à peu, sous les doigts de la piqueuse, la cloche prend une forme ronde ou ovale.

Lorsque la pièce est terminée, la cloche obtenue est placée sur un moule préalablement enduit d’un apprêt passé au pinceau ou à l’éponge. C’est cette étape du formage qui donnera au futur chapeau brillance et rigidité.

L’étape suivante consiste à placer la cloche dans une étuve afin de l’assécher.

Enfin, elle est insérée dans une presse à pédale qui, à l’aide d’un volant, resserre les parties inférieure et supérieure du moule. L’utilisation conjointe d’une température élevée par vapeur chaude donnera sa forme définitive au chapeau.

Il reste alors à décorer le chapeau pour lui donner son originalité : Bande protectrice à l’intérieur mais également ornements extérieurs comme des fleurs, les plumes ou le ruban de tissu du canotier.
Le chapeau est dès lors près à trouver tête à sa taille !

 
Entrée de tête d’un canotier de la Maison Michel/ Paris
Photo V. Tanfin
Canotier de la Maison Michel (le même…)
Photo V. Tanfin

Pour aller plus loin …

Merci à Didier Laforest, artisan formier de la chapellerie Hats Blocks) pour son accueil et l’autorisation de prendre des photographies dans sa merveilleuse boutique;

N’hésitez pas à visiter le musée de l’épopée chapelière de Caussade: https://www.tourisme-quercy-caussadais.fr/