Un dé, oui… mais à coudre!

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  • Publication publiée :5 novembre 2023

S’il est bien un accessoire indispensable en couture, c’est le dé à coudre. Ce petit objet, dont le nom vient du vieil anglais « thimel » (« couvrir »), se porte au niveau du majeur ou de l’index pour en protéger l’extrémité lors des travaux d’aiguille. Il peut être en bronze, cuivre, laiton, or ou en argent pour les plus anciens, mais également en os, en bois, en métal, en silicone, en porcelaine, en cuir ou en plastique en fonction de l’usage qui en est fait.

Les origines médiévales du dé à coudre

Si les premiers indices de la confection de vêtements sont attestées de façon certaine par la découverte d’aiguilles à chas en os datées de 24000 ans avant notre ère, il n’existe nulle trace préhistorique de l’existence du dé à coudre. Plus encore et contrairement à une croyance bien ancrée, les premiers dés à coudre n’auraient pas été inventés par la Rome antique et aucun de ces petits objets n’a été découvert lors de fouilles archéologiques à Pompéi ou sur d’autres espaces contemporains de cette époque. Les premières traces de l’objet remontent en fait au Xème siècle en Turquie, où il semble être utilisé pour protéger les doigts des bourreliers qui manient des aiguilles à chas en acier pour travailler le cuir. Les premiers retrouvés sur notre sol sont très caractéristiques : De grande taille et de forme ogivale ils sont appelés « hispano-mauresques », car introduits en Espagne par les Arabes entre les XIème et XIIème siècle. En bronze ou en laiton, leur fabrication résulte d’une technique de fonte et de mise en forme des métaux par moulage, avant que les décors soient ensuite poinçonnés à la main.

Dé à coudre de bourrelier hispano-mauresque/ XII / XIII ème siècle/
Hauteur : 34 mm

A partir du XIIIème siècle et quelle que soit la condition sociale de la femme, le dé devient un accessoire indispensable pour broder ou raccommoder. Petit à petit, les dés hispano-mauresques perdent de la hauteur et se galbent, ce qui les rend plus maniables. Sont également utilisées des bagues à coudre en tôle de bronze, soit totalement lisses, soit ne comportant que quelques lignes de points. Elles préfigurent les bagues à coudre des selliers, bourreliers, cordonniers et soldats.

Bague à coudre de bourrelier/ XVème siècle

Dès la fin du XIVème siècle, Nuremberg se distingue comme un important centre de fabrication des dés à coudre. Ceux-ci sont alors réalisés par emboutissage d’une épaisse tôle de bronze ou de laiton, au moyen d’une matrice et d’une forme en fer.
Le dé est ensuite couvert à l’aide d’un poinçon de fossettes serrées et disposées en ligne, se terminant généralement en spirale au sommet. La technique de production donne à cet objet des caractéristiques très particulières : une épaisseur variable, un sommet bombé et des fossettes extérieures irrégulières.

Fabrication de dés à coudre-1568/ Orléans, musée des beaux-arts
© François LAUGINIE

Il faudra attendre la fin du XIVème siècle et une amélioration des techniques de fabrication pour que les dés à coudre commencent à être décorés.

Dé à coudre en bronze XIVème siècle/
© Musées de Senlis/
https://musees.ville-senlis.fr/

Le dé à coudre, victime d’espionnage

La production industrielle de dés à coudre démarre au XVIème siècle, toujours à Nuremberg, puis aux Pays-Bas et à Londres. En même temps, l’alchimiste suisse Paracelse découvre le zinc qui va générer l’utilisation du cuivre jaune et du laiton. Ces métaux vont rapidement remplacer la matière première des dés à coudre en cuivre, moins résistants.

Grâce à l’invention du moulin à aube, les techniques de production du dé à coudre se perfectionnent encore au XVIIIème siècle : L’emboutissage et le martelage mécanisés produisent un objet à l’épaisseur plus régulière ; la machine à « ponctuer » mise au point par les hollandais permet l’exécution de fossettes uniformes ; la partie supérieure du dé s’aplanit, lui donnant la forme que nous lui connaissons aujourd’hui. Mais cette mécanisation de la production ouvre également la porte à une « course au rendement ». Aussi surprenant que cela puisse paraître aujourd’hui, la compétition fait rage entre les pays européens qui cherchent à découvrir les secrets de la fabrication industrielle du dé à coudre. Ainsi les suédois sont-ils accusés d’avoir utilisé des espions pour s’approprier ce savoir-faire ; Marie-Thérèse d’Autriche quant à elle soudoie des maîtres producteurs numbergeois qui quittent la ville, cachés dans des chariots remplis de paille et exportent leur savoir-faire en Autriche.

Dé à coudre en bronze/ XVIIIème siècle

La Renaissance et l’époque moderne

A partir du XVIIème siècle le dé à coudre se transforme en un objet représentatif du statut social de sa propriétaire. Certains sont de véritables œuvres d’art créés par des orfèvres. En argent, en or, en porcelaine, ils sont décorés, sculptés et même recouverts de pierres précieuses.

S’ils sont bien sûr adaptés aux doigts de leurs utilisatrices, il en existe de minuscules que seule une poupée pourrait chausser.

Un siècle plus tard, le dé en porcelaine prend le pas sur le dé métallique et dans la première moitié du XIXème siècle le sud de l’Allemagne devient le centre mondial de la production de dés à coudre.

Dé à coudre en or rose et jaune, orné dans sa partie supérieure d’une petite frise de motifs à feuillages et contenu dans son étui d’origine en galuchat (1798 à 1809).

Au début du XXe siècle apparaissent les premiers dés publicitaires. Ils vantent généralement les mérites d’articles de couture, mais aussi de produits d’entretien ou de consommation au sens large. Suivront les dés publicitaires régionaux souvent en porcelaine, mais également en verre ou en bois, que de nombreux collectionneurs se procurent au fil de leurs pérégrinations et qu’ils accumulent comme autant de souvenirs de lieux traversés.

Dé à coudre publicitaire pour le “câble Louis d’or” ©
C. Monplaisi

L’activité de couture se démocratisant, le dé à coudre devient un élément essentiel dans les maisons. Dans ce cadre domestique il est utilisé quasiment quotidiennement entre le début du XIXème siècle et jusqu’à l’avènement du prêt à porter à la fin des années 1940. Ce mode de confection supplante alors la couture manuelle et renvoie petit à petit le dé à coudre au fond de la boîte à ouvrages.

De surprenantes utilisations du dé à coudre…

Mais le dé eut également d’autres usages, parfois déconcertants. Ainsi, au XIXème siècle, fut-il utilisé comme mesure pour les spiritueux. De cette utilisation subsistent certaines expressions passées dans notre langage quotidien : « juste un doigt », « un dé à coudre de… », « se noyer dans un dé à coudre », …

Aussi étrange que cela puisse paraître, des hommes d’affaires, mais aussi de grands auteurs et autres poètes ont cité ce petit objet dans leurs écrits :

« Quand il pleut de l’or, sortez le seau, pas le dé à coudre » (Warren Buffet, investisseur et milliardaire américain) ; 

Un dé à coudre empli de tourbillons de rien: c’est l’humanité” (René Barjavel);

… Et bien sûr Georges Brassens qui nous fredonne dans “Une jolie fleur” :

“Elle n’avait pas de tête, elle n’avait pas,

l’esprit beaucoup plus grand qu’un dé à coudre,

mais pour l’amour on ne demande pas, aux filles d’avoir inventé la poudre…”


Digitabuphile, que collectionnes-tu ?

Comme c’est le cas pour bien des objets, des collectionneurs ont porté leur intérêt sur les dés à coudre. Qu’on les appelle Digitabuphiles ou digiconsuériphiles, les amateurs de dés à coudre sont des passionnés. A l’origine plutôt anglo-saxonne, la collection de dés à coudre a petit à petit infiltré des passionnés français. Que ces digitabuphiles chassent les dés en porcelaine ou en métal, certains sont de vrais acharnés qui vont orienter leur passion autour d’un thème régional, animal, historique ou autre. Certains vont se concentrer sur les dés publicitaires, d’autres sur des pièces en argent ou en porcelaine. Ce petit objet existe sous tant de formes et de matières que chacun peut y trouver son bonheur: celui de chercher, de découvrir ou de dénicher la pièce rare qu’il ne possédait pas!

Une petite partie de ma collection…
©C. Monplaisi

Pour aller plus loin…

La folie des dés à coudre/ Frédérique Crestin- Billet (Flammarion; 2003)

Le dé à coudre en France/ Michel Painsonneau (3 tomes)