LE DOMINOTIER

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  • Publication publiée :5 juillet 2020
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De quoi parle t-on?

La dominoterie se définit comme la conception et la fabrication de papiers peints imprimés, appelés également papiers dominotés ou dominos. Cette technique artisanale, héritée d’un savoir- faire dont on retrouve des traces dès 1540, a atteint son apogée au XVIIIème siècle. Elle perdure aujourd’hui grâce à des artisans d’art qui la font vivre dans le respect des méthodes traditionnelles.

Le domino ou papier dominoté, issu d’un savoir- faire unique , est l’ancêtre oublié du papier peint tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Sans aucun lien avec le célèbre jeu de société, l’origine du mot Domino reste obscure. Il dériverait du latin Dominus, le Seigneur, en référence aux images pieuses que réalisaient également les maîtres dominotiers.

Une histoire aussi longue que riche

Le processus de fabrication du papier peint remonte au Moyen âge. Les chinois, à l’origine de la mise au point de ces techniques d’impression, les ont créées afin de décorer d’estampes les murs de leurs demeures. Ces dessins, arrivés en Europe au milieu du XVIIIème siècle, ont donné l’idée à certains précurseurs de concevoir des décors pour embellir les murs de manière répétée, remplaçant ainsi les grandes tapisseries murales des Gobelins ou d’Aubusson, particulièrement onéreuses.

C’est ainsi que le papier dominoté va habiller les plus beaux intérieurs de France et d’Europe, ornant leurs murs de motifs géométriques, graphiques ou floraux, dont certains nous paraissent aujourd’hui encore très modernes.

Papier peint à motifs répétitifs, Manufacture Réveillon, Paris vers 1789, Musée du papier peint, Rixheim, France

Les britanniques s’empareront rapidement de cette fabrication. L’Allemagne et l’Italie utiliseront quant à elles des techniques particulières d’impression, à l’origine de “papiers gaufrés” et de décors richement colorés.

En France, la manufacture Zuber, créée en 1790, va connaître tout au long du XIXème siècle un essor exceptionnel. Aujourd’hui encore, cet établissement est connu dans le monde entier pour la qualité hors normes de ses créations.

Le papier dominoté, utilisé dans le monde de l’édition… et ailleurs…

Si le papier dominoté se définit aujourd’hui comme l’ancêtre du papier peint imprimé, il a également tenu une place particulière au cours du XVIIIème siècle dans le monde de l’édition.

En effet, les imprimeurs libraires s’en servaient pour couvrir provisoirement les livres, avant la pose d’une reliure définitive en cuir. Ces feuilles estampées, rarement conservées du fait de leur usage temporaire, font aujourd’hui l’objet de toute l’attention des chercheurs, des bibliophiles et des bibliothèques.

Papier dominoté; semis de 3 petits motifs rouges, fleur quadrilobée, points ou étoiles; point encerclé d’un pointillé; fond blanc. Source: Bibliothèque municipale de Toulouse

Les papiers dominotés servent également à recouvrir l’intérieur de boîtes, coffrets de jeux, malles, tiroirs, meubles, afin de les embellir.

Ensemble de jeux géographiques; Paris, 1751. Musée français de la carte à jouer.

Avant l’impression, un univers de bois et de papier

A l’origine, le dominotier grave les motifs sur des planches de bois fruitier, les transformant en planches d’impression qui seront placées sous la presse. Plus tard, ces planches seront en métal.

Planche d’impression gravée sur Bois. Coll. Gildas Cagnot.

Les feuilles de papier utilisées, d’une dimension de 32cm sur 42cm sont fabriquée à partir de chiffons usés, de lin et de chanvre.

Un procédé de fabrication singulier

La technique d’impression utilise une presse sous laquelle est placée la planche de bois recouverte d’une couche d’encre grasse, comme l’encre de Chine.

Cette matrice sert dès lors de tampon, reproduisant de façon stéréotypée les contours du dessin. Le papier ainsi encré est ensuite étendu sur des fils comme on le ferait de pièces de linge,le temps que l’encre sèche. La durée de cette étape est soumise à l’hygrométrie et à la température extérieure.

Chez Antoinette Poisson: le séchage du papier. Photo Natacha Rocher

La mise en couleur du papier représente un travail long et minutieux. En effet, pour coloriser la pièce, l’artisan d’art va utiliser un pinceau ou s’aider de pochoirs qu’il va appliquer l’un après l’autre sur la feuille de papier encrée, superposant ainsi les couleurs sur le motif.

Chez Antoinette Poisson.
www.lesmainsbaladeuses.com

La gamme chromatique utilisée est limitée: ocre pour les jaunes, terre pour les rouges, bleu. Et c’est bien la combinaison de ces trois couleurs et le dosage savant des pigments qui feront vibrer chaque motif et chaque feuille de papier dominoté.

L’atelier d’Alexandre Poulaillon; Maison Milliet

De ce processus de reproduction émergera la fabrication de feuilles de papier à la fois identiques et pièces uniques: en fonction d’imperceptibles traces de pinceau ou de petites différences que la main de l’artisan aura glissé dans la colorisation du motif, on peut remarquer d’infimes décalages entre les différentes feuilles produites. De ces “imperfections” naît l’émotion ressentie devant ces véritables œuvres d’art.

Le travail de pose se réalise lui aussi feuille par feuille, méticuleusement. Le mode de fabrication du papier chiffon en fait une matière première de qualité exceptionnelle: très élastique une fois humidifié, il épouse toutes les formes du mur, même le plus accidenté, sans se déchirer. Le rendu se révèlera ainsi à la hauteur de la précision et de la qualité d’impression de chaque feuille, façonnée avec passion et minutie par l’artisan dominotier.

Chez Antoinette Poisson: pose du papier dominoté.
Image extraite du reportage France 4 “La haute couture du papier peint” (13 mai 2016)/ Youtube

Le papier dominoté: de la tradition à la création

Au XIXème siècle, le processus industriel de fabrication du papier peint en rouleau fait tomber progressivement dans l’oubli ce savoir- faire.

Mais grâce à quelques passionnés tenaces et créatifs, la technique renaît et retrouve aujourd’hui ses lettres de noblesse.

La modernité des motifs d’origine, influencés par les récits de voyage et d’exploration qui ont émaillé le XVIIIème siècle sous l’influence des Lumières jettent un pont entre les siècles, les cultures et les générations de dominotiers.

Motif 18eme siècle . Collection Alexandre Poulaillon. Maison Milliet

Un nouvel élan pour le papier dominoté

S’il n’existe pas de formation spécifique à cet art, le métier s’acquière dans les ateliers détenteurs de ce savoir- faire d’exception.

Qu’il s’agisse des ateliers d’Offard à Tours, d’Antoinette Poisson à Paris, de la maison Milliet ou de la manufacture Zuber près de Mulhouse, pour ne citer que les plus connus, les motifs intemporels conçus à l’âge d’or des papiers dominotés renaissent sous les doigts d’or de ces artisans.

Si cette nouvelle génération de créateur excelle dans la réédition de ces papiers hérités des siècles passés, mettant leur savoir faire au service de chantiers de rénovation de monuments historiques, ils se définissent également comme des créateurs: en inventant des motifs à l’iconographie contemporaine, ils répondent à un marché d’amateurs avertis, venus du monde entier.

Stimulés par leur passion, riches de gestes précis où la trace de la main reste partout présente, ces artisans au savoir- faire aussi rare qu’exigent redonnent aujourd’hui de l’éclat à des papiers dominotés aux motifs aussi variés que contemporains.

Collection François Xavier Richard;
Ateliers d’Offart
Décor Alexandre Poulaillon; Maison Milliet
Indienne; Collection Antoinette Poisson

Merci à Alexandre Poulaillon (Maison Milliet) pour son aimable prêt d’images.

Sources:

Les papiers dominotés, une collection particulière; Valérie Hubert (2016)

Musée du papier peint de Rixheim: www.museepapierpeint.org

Rosalis, Bibliothèque patrimoniale de Toulouse

www. cagnot.com. Imagerie du bord de mer sur l’île de Noirmoutier par Gildas Cagnot.

www.maisonmilliet.com

www.antoinettepoisson.com

www.atelierdoffart.com

www.zuber.fr

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