X comme xylographie

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  • Publication publiée :1 juin 2025

La xylographie dont l’étymologie renvoie au grec xýlon, (bois) et grápheim (écrire) représente le plus ancien procédé de reproduction et d’imprimerie. Dans cette technique de gravure dite en épargne, les parties creuses de la matrice en bois ne sont pas destinées à être encrées, contrairement à ce qui est laissé en relief.
Les premières formes de gravure ont été retrouvées sur des pierres et des tablettes d’argile datées par les archéologues de 500 avant J-C. En effet, les anciens Égyptiens utilisaient déjà les techniques de gravure en relief et des cylindres gravés pour imprimer des motifs sur des tissus. Plus tard, les Romains cisèleront des sceaux dans la pierre ou le bois pour signer leurs œuvres ou authentifier des documents.

Aux origines était la Chine

Mais c’est bien en Chine que la gravure sur bois telle que nous la connaissons encore de nos jours trouve son origine. Cette civilisation qui a inventé le papier innovera également en utilisant dès le VIIème siècle la gravure sur bois pour imprimer des images comme des portraits de Bouddha qui circuleront ainsi dans tout l’Extrême- Orient. Les textes seront imprimés en plusieurs exemplaires, les feuilles étant assemblées ensemble pour former des livres. Le Sûtra du Diamant, livret en accordéon daté du milieu du Xème siècle constitue un exemple rare de ces premiers livres chinois obtenus grâce à la technique de la xylographie. Cet ouvrage illustre en effet parfaitement les transformations du format des livres qui évoluent petit à petit du rouleau vers le fascicule.
En perfectionnant cette technique au fil des siècles, le travail des imprimeurs chinois sera à l’origine d’une large diffusion de l’écriture et de l’art, marqueur véritable de l’histoire de l’impression.

Peu après leur invention, les techniques d’impression sur bois pénètrent le Japon et la Corée. La xylographie sera à l’origine des estampes japonaises, connues sous le nom d’ukiyo-e. Elles représentent des scènes de la vie quotidienne, des portraits d’acteurs et de courtisanes, des paysages ou des images religieuses.
A ce jour, le plus ancien texte du monde connu, imprimé par xylographie est le Dharani-sutra de la Lumière Pure, petit rouleau bouddhique, publié vers l’année 751 et découvert en 1966 dans le temple Pul-guksa situé à Kyongju (Corée).

Copie du Grand Dhāraṇī de Lumière pure immaculée
Rouleau de papier imprimé en xylographie, 620 x 6,5 cm
Première moitié du 8e siècle (pour l’original) © Lee, Seungcheol
https://essentiels.bnf.fr/fr/

L’Occident découvre la xylographie

Grâce aux routes commerciales, la xylographie va petit à petit quitter l’Asie pour atteindre l’Europe durant le XIVème siècle. Son usage consiste alors principalement dans la diffusion de connaissances religieuses (images pieuses) et éducatives. Plus tard, elle mènera à la production d’objets du quotidien comme les cartes à jouer, les almanachs, les portraits de souverains, etc.
Comme les premières gravures sont souvent réalisées par des moines, les images sont principalement religieuses, servant à diffuser les évangiles auprès de la population. Le Bois Protat (XVème siècle) est ainsi le tout premier bois gravé connu à ce jour. Une des faces de la planche représente une crucifixion, l’autre l’Annonciation.

Le Bois Proat

Du fait de son prix plus abordable que ceux des manuscrits ou de l’imprimerie à caractères mobiles, la xylographie devient très populaire au XVème siècle. De même, moins coûteuse que la peinture, elle permet de reproduire et diffuser des estampes appréciées par la bourgeoisie.
Elle sera également érigée à un niveau éblouissant de complexité par des artistes comme Albrecht Dürer qui donnera à ses œuvres un niveau de détail et de précision jusque-là inégalé.

Les quatre cavaliers de l’Apocalypse. Xylographie d’Albrecht Dürer/ 1497 – 1498
Musée d’art et d’histoire de Genève https://www.mahmah.ch/

Étonnamment, l’invention de l’imprimerie par Güttenberg au milieu du XVème siècle profite à la xylographie. En effet, les bois gravés sont alors juxtaposés aux caractères de plomb mobiles, donnant vie aux incunables illustrés, premiers ouvrages imprimés par procédé typographique.

Die vier Historien : Joseph, Daniel, Judith, Esther / Albrecht Pfister /1462
Bibliothèque nationale de France

La xylographie sera en grande partie abandonnée entre les XVIIe et XVIIIe siècles au profit de la gravure en creux. Elle réapparaît un siècle plus tard grâce aux innovations apportées par le britannique Thomas Bewick qui portera ce savoir-faire à son summum : contrairement à la gravure traditionnelle sur bois de fil, qui consiste à scier la planche dans le sens de la fibre, obligeant l’artisan à graver la matière en fonction des veines du bois, Thomas Bewick opte pour la gravure dite de bout (ou debout) : Il privilégie les essences de bois à grain très serré qu’il coupe perpendiculairement à l’axe du tronc, utilisant les rondelles transversales ainsi obtenues. Il grave ensuite le bois à l’aide d’outils fins, semblables à ceux utilisés pour la gravure sur métal, obtenant un résultat d’une finesse impressionnante.

Oeuvre de Thomas Bewick

En 1817, Charles Thompson, formé dans les ateliers de Thomas Bewick arrive à Paris. Lui et ses ouvriers graveront en bois de trait les dessins de nombreux artistes comme Daumier, Gavarni, Cham, Grandville ou Charlet… Grâce à son travail naît le dessin comique, qui profite de la multiplication des journaux et de l’invention de la presse Stanhope, première presse à bras entièrement métallique qui permet de décupler le rendement.
La vignette d’illustration se glisse également dans les livres romantiques et les romans de Balzac. L’illustrateur Gustave Doré sera quant à lui à l’origine de plus de dix mille dessins exécutés pour des ouvrages ou des périodiques : De Dante à Balzac, de La Fontaine à Cervantes en passant par la Bible ou Rabelais, il bat tous les records de son époque par une productivité hors du commun.

La belle au bois dormant/Gustave Doré/ Paris/1862

L’influence japonaise sur la xylographie occidentale

Dans la seconde moitié du XIXeme siècle, le Japon met fin à un isolement commercial qui durait depuis deux cents ans. C’est ainsi que dès 1870, l’estampe japonaise va influencer l’art occidental. En France, les frères Goncourt, mais aussi de nombreux artistes comme Edouard Manet, Edgar Degas, Paul Gauguin ou Henri de Toulouse Lautrec s’inspirent de cet art venu d’Asie. Les artistes et sculpteurs Henri Rivière ou Mathurin Méheut produiront quant à eux des séries de xylographies inspirées du style japonais pour représenter la Tour Eiffel ou la Bretagne. On peut encore admirer dans la maison de Monet à Giverny de multiples estampes qui laissent deviner le goût du maître pour cet art.
Le franco-suisse Félix Vallotto est pour sa part souvent considéré comme le pionnier de la xylographie moderne. Dans la dernière décennie du XIXe siècle la production d’estampes permet à cet artiste complet d’acquérir une certaine notoriété. Il aime exercer la xylographie dont il maîtrise parfaitement la technique. Afin de contrôler tous les facteurs de variation qui entrent en jeu lors de l’impression il taille même lui-même ses bois. Lui aussi trouve son inspiration dans les estampes japonaises qu’il collectionne, mais également dans la photographie dont il reprend les codes pour les cadrages de ses œuvres, donnant au spectateur l’illusion de participer à la scène qu’il contemple.

Le Bon marché/ Felix Vallotton/1993

Au fil du temps, la xylographie va continuer à suivre le mouvement général des arts, s’adaptant à la modification des normes esthétiques. Des artistes comme Edvard Munch, Matisse, Picasso ou Kandinsky utilisent la technique de la gravure sur bois pour exprimer leur talent. La technique est dès lors considérée comme une recherche artistique. Les tirages des épreuves sont limités et signés. Des ouvrages précieux sont édités.

Livre de la vérité de parole/1929/ Gravure sur bois en couleur de F.L. Schmied/ Bibliothèque nationale des Pays Bas
https://collecties.kb.nl/fr

La xylographie contemporaine, un art en pleine renaissance

Aujourd’hui, l’art de la xylographie embrasse des courants artistiques en harmonie avec leur temps. Entre tradition et innovation, elle est pratiquée par de talentueux artistes qui utilisent cette technique ancestrale en la réinterprétant et en la réinventant sans cesse, afin de créer de surprenantes œuvres contemporaines.

Pyrole verdâtre, la nuit
Gravure sur bois/ Lucy Watts/ 2020
http://lucywatts.com/

Ses applications sont multiples et parfois inattendues. Utilisée dans le milieu de la mode pour créer des motifs uniques sur des tissus, on la retrouve également dans le design d’intérieur, permettant de concevoir des éléments de décoration à la fois originaux et personnalisés. Comme dans les siècles passés elle est toujours employée dans le domaine de l’édition d’art, mais également dans celui de la bande dessinée, donnant un relief particulier aux illustrations.
Comme autrefois, les gravures sur bois reprennent aujourd’hui une certaine place dans la transmission du langage populaire. Ainsi au Brésil, elle représente le support d’une littérature de colportage dont la mission principale est d’informer et de distraire une population souvent peu instruite.

Littérature de colportage brésilienne/ Image populaire/Texte de Pascal Baneux, gravures du Sertão brésilien ; xylographies de J. Borges, J. Miguel, Manassés et Ivan./2005

La xylographie, un processus unique

La xylographie, mêlant habilement gravure et impression est un art qui nécessite de la part de l’artiste patience et méticulosité.
La composition d’une œuvre commence par le choix du motif à reproduire.
Tout d’abord, l’artiste dessine celui-ci sur une pièce de bois (poirier, chêne, tilleul, eucalyptus, …) préalablement préparée avant de se lancer dans la gravure. Puis, à l’aide d’outils comme des canifs, burins, ciseaux ou gouges, le graveur creuse la matrice soit dans le sens des fibres du bois (gravure sur bois de fil), soit perpendiculairement à celles-ci (gravure en bois de bout), éliminant les surplus qui ne font pas partie du motif, préservant les autres qui de fait apparaîtront en relief. C’est la taille d’épargne, où l’outil épargne le dessin.
Ce travail où l’artiste ne grave pas le dessin en lui-même, mais les blancs de l’image à venir nécessite précision et minutie. Ainsi, seuls les reliefs de la planche seront encrés pour faire contact avec la feuille de papier ou le textile. D’autre part, l’artiste grave le motif à l’envers sur la plaque afin que ce dernier apparaisse à l’endroit en fin de processus.
L’’impression nécessite l’utilisation d’encres, de papiers ou de textiles et d’outils comme un baren japonais (instrument constitué d’un disque intérieur, d’une poignée et recouvert d’une feuille de bambou), une simple cuiller en métal ou une presse manuelle.

Baren

Lorsque le motif est dégagé du bois, l’artisan se fait imprimeur et dépose l’encre au rouleau ou au tampon sur les parties en relief de la matrice. Il applique ensuite la feuille de papier qu’il frotte à l’aide de la cuiller ou du baren afin d’y reporter le dessin encré.
Grâce à ce procédé naît une image monochrome absolument unique. L’estampe est prête !
Pour produire une œuvre en série, l’artiste devra répéter ce processus autant de fois que le nombre de pièces souhaitées. Les estampes sont ensuite laissées à sécher avant d’être signées et numérotées.
Concernant les estampes polychromes, la méthode d’impression est beaucoup plus complexe, nécessitant entre autres la préparation d’une matrice par couleur.

Les différentes étapes d’une xylographie polychrome
Yamauba et Kintaro, figures populaires du folklore japonais, estampe ukiyo-e par Kitagawa Utamaro (1753-1806)
© MAD

Ainsi, la xylographie, technique d’impression la plus ancienne au monde reste bien vivante dans la pratique artistique actuelle. Articulant savoir-faire ancestral et matériaux contemporains, les créateurs d’aujourd’hui sont à l’origine d’œuvres qui offrent une véritable renaissance à ce savoir-faire, dans un équilibre parfait entre tradition et innovation.

La pêche miraculeuse/ Gildas Cagnot/2021
https://www.cagnot.com/
https://www.instagram.com/cagnot_n.o/?hl=fr

Pour aller plus loin :

https://essentiels.bnf.fr/fr

Un grand merci à Gildas Cagnot et Lucy Watts pour m’avoir autorisée à utiliser des photographies de leur merveilleux travail. Retrouvez leurs créations sur leurs sites:

https://www.cagnot.com/

https://www.instagram.com/cagnot_n.o/?hl=fr

http://lucywatts.com/