A l’origine, la crèche
L’Histoire nous rappelle que la fête de Noël a été instaurée par le pape Liberius en 354, afin de remplacer la fête païenne du « Nathalis Solis Invicti » (Soleil invaincu) qui jusqu’alors entourait le solstice d’hiver et célébrait conjointement l’allongement des jours et la victoire du retour de l’astre solaire.
Dans les Évangiles, les récits de Saint Mathieu et Saint Luc décrivent pour la première fois la crèche et la Nativité. C’est Luc encore qui situe par ses écrits la naissance de Jésus dans une « Crupio » « mangeoire d’étable », influençant dès lors les représentations de la Nativité sous quelque forme artistique qu’il soit : peinture, sculptures, musique, vitraux, livres religieux, …
La première représentation de la Nativité retrouvée à ce jour a été sculptée sur le bas- relief d’un sarcophage de marbre datant du IVème siècle. Cependant, c’est François d’Assise qui le premier, en 1223, met en scène une représentation vivante de la naissance de Jésus : Dans l’église de Greccio en Italie, il fait jouer ce moment fondateur de la religion catholique par des personnes et des animaux réels.
Cette tradition, qui se répand dans toutes les églises au fil du temps, finira par traverser les Alpes pour s’imposer en France. Et c’est à la fin du XIIIème siècle que la crèche arrive en Provence, introduite par les moines franciscain.
Trois siècles plus tard, la crèche, uniquement installée dans les églises, n’est plus vivante mais constituée par des personnages façonnés à partir de mie de pain, de plâtre, de bois ou de cire.
La Révolution Française viendra bousculer cette tradition bien établie lorsque les lieux de culte deviennent propriété de l’Etat et que l’Assemblée Nationale décrète en 1793 la fermeture des églises. Les crèches et la messe de minuit sont interdites. La représentation de la Nativité disparait de l’espace public. Dès lors, les croyants se mettent à réaliser des crèches en mie de pain qu’ils installent discrètement chez eux, faisant ainsi perdurer la tradition. Les Marseillais en particulier, très attachés à cette coutume réalisent des crèches qu’ils font visiter à leur domicile. Du fait de leur toute petite taille, les personnages prennent alors le nom de « Santoun », « petit saint ».
La naissance du « santoun » provençal
Au sortir de la Révolution, Jean-Louis Lagnel, sculpteur, peintre et figuriste, modèle ses premiers personnages de la Nativité. Il confectionne ses figurines dans de l’argile, matériau souple, facile à travailler et peu onéreux. Il invente un premier processus de fabrication au cours duquel il démoule les bras et les accessoires séparément du corps de la figurine, utilisant à nouveau l’argile pour assembler les différents éléments entre eux. En 1798, il parfait son procédé et crée des moules en plâtre. Il produit alors de petits personnages d’une seule pièce et en série. Ces “santons d’un sou” permettent ainsi à chacun de posséder sa propre crèche.
Outre les personnages traditionnels que l’on trouve dans la crèche, l’imaginatif Jean- Louis Lagnel commence à réaliser des figurines à l’effigie des citoyens qu’il côtoie au quotidien, s’inspirant des habitants, des métiers de l’époque ainsi que des traditions provençales : Les santons tels que nous les connaissons encore aujourd’hui sont nés et leur créateur devient le premier santonnier français !
Les crèches sont de nouveau autorisées dans les églises en 1800. Le procédé de fabrication imaginé par Jean-Louis Lagnel se répand et la création de figurines se popularise, aidée par la proximité de gisements d’argile rouge à Aubagne et Marseille. C’est d’ailleurs dans cette ville que sera organisée en 1803 la première foire aux santons, foire qui perdure aujourd’hui : Chaque année, elle se déroule sur le vieux port, pour le plus grand bonheur des marseillais et des touristes qui découvrent ou admirent le travail des santonniers.
La crèche provençale : une tradition
La crèche provençale présente la particularité de représenter la vie d’un village de Provence au XIXe siècle et les santons sont les incontournables des célébrations de Noël de cette région méridionale.
Les plus petits mesurent de 1 à 3 cm (santon puce). Les santons cigale, de 4 à 6 cm correspondent à la taille traditionnelle. On trouve également des personnages plus grands (de 7 à 9 cm). Les sujets les plus hauts mesurent de 10 à 20 cm. Ils ont la particularité d’être habillés par des couturières talentueuses qui leur confectionnent des vêtements respectant la tradition des costumes du XIXème siècle. Certains sont de véritables pièces de collection.
La tradition veut que chaque année, la crèche, riche en accessoires, représentations de maisons provençales et de végétaux locaux, soit installée au premier dimanche de l’Avent et reste en place jusqu’ jusqu’au 2 février, jour de la présentation de Jésus au Temple.
Chaque figurine participe à la mise en scène de la Nativité, autour de l’enfant Jésus, la Vierge Marie et saint Joseph. L’âne et le bœuf, incontournables acteurs de la scène, sont censés réchauffer l’enfant avec leur souffle. Les Rois Mages et les bergers sont présents eux aussi, ainsi qu’une série de petits sujets qui sont la mémoire des métiers et des costumes des habitants des villages provençaux traditionnels. Tous ces personnages, chargés de présents, sont disposés de telle façon qu’ils semblent se diriger vers l’étable où est installée la Sainte famille.
Les personnages bibliques
Parmi les personnages sacrés qui peuplent la crèche, on retrouve bien entendu la Sainte-Famille, avec Marie, Joseph et l’enfant Jésus.
Les anges et les trois rois mages, Gaspard, Balthazar et Melchior sont également là. Richement vêtus, ils sont porteurs d’une offrande pour le nouveau-né. Les bergers apparaissent sous les traits des bergers provençaux. Accompagnés d’un ou plusieurs moutons ils symbolisent la sagesse et les anciens.
Les animaux
Si la Sainte famille est réunie dans une étable, la crèche s’enrichit également de nombreux autres décors comme de petits villages provençaux présentés avec leurs commerces, leurs maisons, leurs bories (constructions en pierres plates), leur moulin, ainsi que des végétaux et autres scènes champêtres.
Outre l’âne, le bœuf et les moutons, le décor rend hommage à Saint François d’Assise, patron des animaux, en mettant en scène une faune nombreuse : le chameau des rois mages, mais également l’âne qui porte la farine du meunier, la chèvre qui accompagne la bohémienne, les pigeons blancs, le cygne, l’ours, le cheval, le chien, le cochon et les animaux de la basse- cour.
Mais attention, jamais de chat dans la crèche!
La légende raconte qu’au soir d’une représentation de crèche vivante à Greccio, François d’Assise avait confié la surveillance du bébé prêté par des paysans à un chat. Si ce dernier promis de veiller sur l’enfant, c’était sans compter sur le diable qui pris la forme d’un oiseau… lui faisant oublier sa parole.
François retrouva le bébé en pleurs, abandonné par le félin parti à la chasse à l’oiseau. De colère le Saint homme expulsa tous les chats de la crèche, qui encore aujourd’hui n’y sont pas les bienvenus.
Les personnages incontournables
Aucun des personnages provençaux traditionnels n’est là par hasard :
Le Ravi, berger aux mains vides et levées représente un personnage naïf, simple d’esprit qui symbolise la joie.
L’Arlésienne en général accompagnée du guardian, monté sur son cheval blanc est une référence à la Camargue.
L’aveugle, soutenu par son fils, vient implorer Jésus de lui rendre son aîné décédé.
Le porteur d’eau, personnage essentiel du village provençal, apporte une cruche ou un seau d’eau à Marie pour qu’elle puisse laver les langes de Jésus.
La fileuse file la laine pour protéger l’enfant du froid.
Les bohémiens, guérisseurs ou liseuse de bonne aventure font également partie des personnages emblématiques de la crèche, tout comme le moine, représentant de Saint François d’Assise, Saint Patron des santonniers.
Le maire, avec ses beaux habits et son écharpe tricolore et le curé s’affichent dans le cortège comme des personnages importants du village.
Les métiers traditionnels
Les métiers traditionnels sont également représentés : Qu’il s’agisse du meunier, endormi ou portant un sac de farine, du boulanger, ou du vannier, tous sont là. Les pêcheurs, qui portent leur filet de pêche ou un panier de poisson sont parfois mis en scène avec leur barque.
Mais l’on trouve également de nombreux autres métiers dans cette crèche : boucher, bûcheron, maître d’école, ramoneur avec son échelle sur le dos, chasseur accompagné de son chien, vitrier, rémouleur, chiffonnier, …
Les femmes, jardinière, lavandière, fermière ou simple passante portent des objets traditionnels provençaux comme de la lavande, du savon de Marseille, de l’ail, des légumes, une cruche ou un fagot de bois…
Les vieux quant à eux sont en général représentés en couple.
Un univers joyeux
Les musiciens et la farandole indiquent que la Nativité est un évènement heureux et donnent un air de fête au village. Le tambourinaire en particulier précède la foule des villageois en jouant de son instrument pour fêter l’évènement.
Ainsi, au cours des siècles, la crèche provençale, riche, joyeuse et colorée s’est imposée comme un univers qui peut se construire sur plusieurs générations, se peuplant un peu plus chaque année. Si elle est une tradition régionale, l’internationalisation des fêtes de Noël au XXème siècle ainsi que le monopole de la production de santons par les artisans locaux dont la renommée dépasse les frontières de la Provence, a constitué un tremplin considérable pour les santonniers, au travers de foires et marchés de Noël qui attirent chaque année de très nombreux touristes.
Les secrets de fabrication d’un santon
Le santonnier est un artisan créatif, très observateur… et un peu chercheur. Il sait tirer profit des multiples détails qu’il repère dans son environnement. Il s’en inspire pour créer figurines et décors les plus exacts possibles, en s’inspirant d’éléments historiques et iconographiques.
Poète dans l’âme, il commence par imaginer son santon, avant de le réaliser et le mouler. Ce processus de création, qui amène le santonnier à créer une figurine à partir d’une boule de roche brute, se déroule en plusieurs étapes :
L’artisan va dans un premier temps réaliser un modèle dans de l’argile crue qu’il façonne à l’aide d’outils comme un ébauchoir, avec lequel il va sculpter le futur santon. C’est ainsi que petit à petit et avec patience va prendre vie sous ses doigts habiles un sujet tout en finesse et en détails. En fonction de la pièce, cette première étape peut demander de plusieurs jours à plusieurs semaines.
La seconde étape consiste à réaliser un moule en plâtre de la figurine. Ce moule, composé de deux parties, permet de dupliquer le sujet en pressant manuellement un colombin d’argile fraîche dans une moitié du moule préalablement talqué.
Vient ensuite le délicat travail d’ébarbage que le santonnier pratique sur l’argile encore fraîche. En même temps qu’il élimine le surplus de terre et les traces de moulage, l’artisan profite de cette étape pour affiner le santon et lui donner vie.
Après un temps de séchage de plusieurs jours, la pièce est cuite dans un four et amenée progressivement à une température pouvant monter jusqu’à 950°. Le four, qui ne sera ouvert qu’après refroidissement complet libérera alors des figurines solides, prêtes pour la dernière étape de leur élaboration : la mise en couleurs.
La peinture est toujours réalisée à la main, à l’aide de pinceaux en poil de martre, et les pigments sont appliqués les uns après les autres. Le santonnier, qui accomplit alors un véritable travail de coloriste, débute par le visage, puis les cheveux, avant de terminer par les vêtements de la figurine. C’est grâce à la délicatesse et la minutie de cette ultime étape que chaque personnage ou accessoire passé par les mains expertes de l’artisan se transformera en une pièce unique. Lorsque les santons sont dotés d’accessoires ou d’offrandes, ces pièces sont ajoutées en dernier lieu.
Le santon, entre tradition et modernité
Comme hier, les santonniers sont nombreux dans des villes comme Marseille, Aubagne, Aix en Provence ou Arles. Héritiers d’un savoir-faire transmis de génération en génération, ils font perdurer les coutumes, tant au niveau des étapes de fabrication que des costumes issus tout droit du XVIIIème siècle. Respectueux des personnages religieux ou provençaux traditionnels, ces artisans patients et minutieux perpétuent le folklore provençal avec passion. Par leur créativité et leur goût de l’innovation, ils ont également su allier coutumes et modernité, transformant ainsi les santons en de véritables pièces décoratives et artistiques, et nos Noël en féérie chaque année renouvelée.
Pour aller plus loin…
Merci au talentueux Patrick Volpès pour nous avoir permis d’utiliser les photographies que vous retrouverez sur son site, ainsi que les superbes santons qu’il crée avec passion pour notre plus grand plaisir:
http://boutique.santons-volpes.com/
Les artisans santonniers présents au centre d’art du Château de Lavardens : Dornier, Fouque, Colette, Arterra, Prouge, Lise Berger, Longueville, Campana, Cavasse Fery.