Les origines du verre soufflé : de légendes merveilleuses en découvertes archéologiques
Les conditions dans lesquelles fut inventé le verre restent une énigme. Et si seul le hasard en est certainement à l’origine, de belles histoires entourent depuis des siècles la naissance de cette matière que l’on fabrique à l’aide de sable, de potasse ou de soude.
Une légende raconte que quelques marchands, suite à un naufrage, furent jetés à l’embouchure du fleuve Belus en Syrie. Pour survivre, ils firent cuire leurs aliments à l’aide d’une plante à feuilles épineuses de la famille des salsolacées appelée kali. Ce végétal, qui pousse sur les rivages sablonneux, produit des cendres riches en soude lorsqu’on le brûle. C’est ainsi que, sous l’effet de la chaleur, les cendres mélangées au sable de la plage se seraient transformées en pâte de verre.
Pour d’autres conteurs, l’origine du verre serait issue de l’activité de marchands qui, faisant cuire sur le rivage leurs aliments dans des marmites supportées par des blocs de natron (carbonate de soude naturel), auraient vu couler une substance inconnue que l’on nommera verre.
Ces histoires, aussi belles soient-elles, ne sont en rien le reflet de la réalité historique. En effet, l’élaboration du verre nécessite une température avoisinant 1300°C, qu’aucun feu de cuisine ne peut atteindre en plein air.
Scientifiquement, les archéologues attribuent l’invention du verre à l’Orient ou aux Égyptiens, sa datation la plus ancienne se situant aux alentours de 1400 avant notre ère.
La canne à souffler : une découverte déterminante
La canne à souffler apparait en Phénicie environ 1 siècle avant J.C. : Certaines peintures des tombes retrouvées sur le site archéologique de Beni Hassan montrent des artisans thébains, assis devant un foyer et soufflant le verre au bout d’une canne. Cette technique est identique à celle qu’utilisent les artisans d’art contemporains.
Le soufflage du verre révolutionnera complètement la fabrication des objets, ouvrant jusqu’à nos jours d’infinies possibilités aux artistes mais également aux industriels.
La technique du soufflage de verre, qui consiste à recueillir la matière vitreuse en fusion au bout d’un tube métallique, à souffler dedans pour donner la forme creuse souhaitée puis à rouler l’objet sur une table de travail pour le rendre symétrique, va se généraliser au fil du temps et se répandre dans toute l’Europe.
Le soufflage de verre, ou la longue histoire d’une technique et d’un savoir-faire uniques
Les premiers objets produits grâce au soufflage de verre datent de plus de 1000 ans avant notre ère. Les témoins en sont des vestiges trouvés sur le site de Chogha Zanbil (dans l’actuel Iran) ainsi que de petites bouteilles en verre soufflé découvertes dans la vieille ville de Jérusalem.
Mais c’est sous l’empire romain que se développe un vaste réseau d’ateliers de production de verre soufflé, associé à un commerce important, à l’origine de la dissémination de ces objets à travers tout l’empire.
L’un des plus célèbres souffleurs de verre d’alors est le syro- palestinien Ennion, qui créa les premiers objets à la fois soufflés et décorés.
Au cours des siècles suivants, la multiplication des grandes routes commerciales favorise les échanges et le rayonnement des objets en verre et des techniques à l’origine de leur fabrication. En témoignent des pièces trouvées dans le monde islamique et en Europe de l’Est, mais également au Japon, où le travail du verre soufflé a été apporté par les Portugais vers 1542.
L’âge de la splendeur et du raffinement
A la Renaissance, l’art du soufflage de verre connaît un véritable renouveau artistique, notamment en Italie où les artisans de l’île de Murano, aux portes de Venise, vont développer une production d’un raffinement extrême grâce à l’invention d’un nouveau type de verre. Celui- ci, fruit des recherches de l’artiste et scientifique Angelo Barovier présente la particularité d’une extrême pureté et d’une transparence infinie : le « cristallo » ou verre cristallin, est né.
Si la fabrication des verriers de Murano s’exporte dès la fin du XIVème siècle jusqu’à Londres, c’est au siècle de la Renaissance vénitienne que la production de ces artisans hors pairs va atteindre un degré de perfection rarement égalé dans la longue histoire des arts décoratifs.
Outre les créations en cristal, les cours royales de l’Europe entière commandent aux verriers de Murano des verres peints à l’émail, souvent très décorés et ornés de scènes mythologiques ou de portraits de grands contemporains.
Cette hégémonie sera supplantée à la fin du XVIIème siècle, lorsque l’anglais Georges Ravenscroft inventa en 1676 le « cristal de plomb ». Le minium entrant dans la composition de celui-ci eut en effet une influence décisive sur l’évolution esthétique de la verrerie de luxe, ébranlant par là même la suprématie des artistes italiens.
Les grandes maisons créées à cette époque et au cours des siècles suivants symboliseront très vite l’univers du luxe. Elles en sont encore aujourd’hui d’incontournables ambassadrices, faisant rayonner la maîtrise de leur art à travers le monde : Baccarat (1764), Moser (1857), Daum (1878), Lalique (1888). Autant de savoir-faire mis au service d’une identité et d’un esprit qui révèlent la particularité de chacune d’elle.
Art nouveau et travail du verre
Le dernier quart du XIXème siècle voit l’émergence des arts décoratifs, jusque-là considérés comme mineurs.
Co- fondateurs et figures de proue du mouvement que l’on appellera très vite « Art nouveau », Emile Gallé et René Lalique vont porter aux sommets l’art de la verrerie et lui donner ses lettres de noblesse.
Dans toutes les disciplines, cette fin de siècle est particulièrement influencée par le Japon qui s’ouvre alors au monde. Le travail du verre ne fait pas exception. On y retrouve ainsi le dépouillement inhérent à l’art japonais, mais aussi l’omniprésence de la nature, qui vont permettre à Emile Gallé, dont la majorité des créations sont en verre soufflé, d’évoluer dans un univers à la limite du fantastique.
René Lalique, quant à luireconnu comme l’un des joailliers les plus importants de l’Art Nouveau, s’intéresse rapidement au verre comme matière artistique. Après en avoir expérimenté les possibilités en créant des bijoux, il commence à concevoir dès 1895 des flacons de parfums. Collaborant avec le parfumeur Coty, il sera le premier à imaginer commercialiser ces produits de luxe dans un emballage de verre aussi prestigieux que son contenu.
En 1913, il rachète une verrerie à Combs-la-Ville (Seine et Marne), puis construit en 1921 une usine à Wingen-sur-Moder (Alsace) qui, toujours florissante, produit aujourd’hui encore des objets uniques et des pièces d’exception symbolisant un certain art de vivre à la française.
Souffleur de verre : Un savoir-faire qui se gagne !
Si le métier de souffleur de verre fait rêver, il nécessite un savoir-faire que seul le temps, la rigueur, la patience et l’humilité permettent d’acquérir.
L’exigence du matériau, malléable et vivant lorsqu’il est à température, nécessite de la part de l’artisan d’art rapidité, précision et dextérité. Lors de la création d’une pièce, tout son savoir-faire se met ainsi au service des propriétés du verre, afin de l’accompagner dans sa transformation. Chercher à comprendre le matériau en fusion, anticiper, accompagner ou guider ses réactions à venir, c’est là que s’exprime tout l’art du souffleur, qui donne ainsi vie à des histoires nées de l’osmose entre la matière et l’homme.
Tout au long du minutieux processus de création, le souffleur de verre se doit de rester concentré sur la pièce qui émerge sous ses doigts : une seconde d’inattention, et tout peut basculer. Le geste, en raison des propriétés du verre, est définitif, rendant impossible tout retour en arrière.
Le « solfège technique » de l’artisan d’art verrier se concentre donc en quelques mots : le bon geste au bon moment.
Et c’est seulement après avoir apprivoisé pas à pas et avec patience ce savoir-faire unique que l’artisan d’art souffleur de verre va pouvoir exprimer sa créativité et donner vie à des objets singuliers.
Souffler à main levée : Une technique ancestrale au service d’un artisanat d’art contemporain
La technique du soufflage du verre pourrait donc se définir comme l’action de transformer une masse de verre en fusion (de 1100 à 1160°C) en une bulle, puis de décliner la forme creuse en divers contenants et formes. Cependant, cette description simpliste cache un savoir-faire et une maîtrise des gestes que seul le temps et l’expérience peuvent apporter.
La première étape de création, appelée cueillage, consiste pour l’artisan à prélever dans le creuset une boule de verre en fusion, la paraison, en tournant doucement et de manière régulière la canne (sarbacane), longue tige métallique creuse, pour recueillir le verre de manière homogène. Pour arrondir la paraison et lui donner de la forme, l’artisan utilise également une mouillette (papier journal humidifié).
Une fois le verre stabilisé, le verrier roule la masse de verre sur une table en acier appelée marbre afin d’obtenir un cylindre régulier, puis commence à lui donner la forme souhaitée.
Vient ensuite le soufflage, qui consiste, en soufflant à la bouche dans la canne, à introduire de l’air dans la masse de verre amenée par chauffage à l’état visqueux. L’action de souffler se pratique d’un coup bref, suivi d’un geste du doigt qui va venir boucher l’extrémité de la canne, afin d’éviter le reflux de l’air chaud. La bulle d’air ainsi formée va venir gonfler l’intérieur du verre. Ce geste, exécuté librement dans l’espace ou guidé par un moule, permet d’obtenir une forme creuse.
L’artisan renouvelle cette opération après des réchauffages successifs, afin d’atteindre le volume définitif de verre creux souhaité pour la pièce en cours de création.
Dans la technique de soufflage à l’air libre, il va varier les positions de la canne dans l’espace, tout en maintenant un mouvement de rotation constant et régulier. Il travaille ainsi la forme qu’il souhaite donner à la pâte de verre grâce à un souffle à la fois maîtrisé et soutenu.
Suit l’application de couleur, que l’artisan obtient en roulant la boule dans des oxydes métalliques de différentes teintes, mélangeant si besoin ces dernières, en fonction du résultat souhaité. Il crée ainsi des décors sur le verre en fusion.
La dernière étape, la plus délicate, consiste à transférer le verre sur un pontil (canne pleine) et à retirer la partie inférieure du verre soufflé à l’aide d’une pince, tout en continuant à faire tourner la sarbacane.
Enfin, pour séparer la pièce achevée de la canne à souffler, l’artisan imprime un mouvement sec du poignet. Subsiste alors une marque, comme une empreinte du verrier à l’origine de la pièce.
À l’aide de gants en Kevlar, le verrier ramasse enfin la pièce brûlante et la transfère rapidement dans un four de recuit, maintenu à 500°C, puis refroidi durant une nuit ( 4 à 6 heures pour les verres fins) à température ambiante. L’objectif de ce lent refroidissement est d’éviter que la pièce ne se fissure ou ne se brise.
Lorsque l’artisan réalise des décors sur la pièce, il utilise des outils comme des pinces, qui lui permettront d’étirer différentes parties du verre afin de réaliser des motifs et des détails. Une fois ces derniers finalisés, le verrier enfournera à nouveau la pièce dans le but d’égaliser les tensions internes qui ont tendance à se créer lors du travail du verre, et éviter ainsi de le fragiliser.
D’autres gestes, effectués à l’aide d’outils spécifiques, viennent en complément du soufflage et participent au façonnage du verre à chaud : Les pontils et les ferrets (barres d’acier) permettent de saisir le verre. Les mailloches (cubes de bois évidés) servent à le centrer et à le répartir. Les fers servent à ouvrir et esquisser la forme, les ciseaux, à la rogner.
Infatigables, passionnés et exigeants, les artisans d’art souffleurs de verre sont les héritiers de gestes ancestraux qu’ils perpétuent de génération en génération. Par leur imagination et leur savoir-faire, ces faiseurs de lumière nous parlent de demain avec des gestes d’hier, réinventant chaque jour le miracle de la transformation de la pâte de verre incandescente en un objet unique, au travers d’une démarche créative perpétuelle.
Pour aller plus loin…
Merci à Tipii atelier et à l’office du tourisme de Biot pour m’avoir autorisée à utiliser certaines des sublimes photographies de leur site internet.
Vous retrouverez leur travail sur leur site: