Objet tout autant pédagogique que décoratif, fascinant par le nombre infini d’informations qu’il fournit, le globe terrestre est une invitation à l’aventure et à la rêverie.
Il nous parle de terres et de mers, de continents, de latitudes et de longitudes, il nous rapproche des explorateurs, qui de tout temps sont partis à la conquête de notre planète, intrépides et curieux navigateurs qui ont parcouru les mers et les océans, enrichissant au cours des siècles notre connaissance de la planète terre.
Ronde, la Terre ?
Depuis l’Antiquité, les astronomes observent le Ciel pour le comprendre et modéliser une vision du monde. Bien que très doués en astronomie, les Sumériens (3000 ans avant notre ère) se représentaient la Terre comme un disque plat posé sur un océan sans limite.
Ce n’est qu’à partir du Ve siècle av. J.-C. que des philosophes grecs, s’appuyant sur leur observation de la courbure de l’horizon, commencent à concevoir la Terre sous la forme d’une sphère. Mais c’est vers 230 av. J.-C. que l’astronome et mathématicien Eratosthène confirme la rotondité de notre planète et en calcule la circonférence avec une remarquable précision.
C’est ainsi que l’observation de la voûte céleste par les savants grecs les conduira à établir une représentation du cosmos qui perdurera durant des siècles.
Cette vision communément adoptée alors est celle d’une planète terre immobile au centre d’un système de sphères imbriquées les unes dans les autres, et entourée d’une sphère portant les étoiles. En effet, la position de celles-ci étant fixe, le ciel donne effectivement l’impression de tourner autour de la Terre.
Globes célestes et globes terrestres : entre ciel et terre
Alors que des globes célestes, représentant les constellations de la voûte céleste sont créés dès le Moyen-âge, notamment dans le monde islamique, la production de globes terrestres se développe à partir des grandes expéditions maritimes du XVème siècle. Les mappemondes permettent ainsi de diffuser les découvertes rapportées par les navigateurs des différentes régions explorées de par le monde.
Le globe terrestre, entre mythe et science
Le globe terrestre de Martin Behaim, daté de l’année même du premier voyage de Christophe Colomb en 1492 est le plus ancien au monde encore conservé. Fabriqué sur commande du conseil municipal de Nuremberg, il est aujourd’hui encore conservé dans cette ville.
Ce globe reflète la vision du monde des européens à la fin du Moyen âge. L’Amérique n’a pas encore été découverte et c’est vers l’Afrique et l’Océan Indien que s’élancent les routes commerciales.
S’il rend compte des dernières découvertes des marins portugais, la cartographie du globe déforme cependant toute la partie sud de l’Afrique et présente des erreurs de proportions au niveau des continents, très déroutantes pour l’observateur du XXIème siècle.
Conjointement, sur les planisphères comme sur les globes terrestres des XVème et XVIème siècle, les connaissances scientifiques cohabitent étrangement avec des représentations de monstres marins qui renvoient à la fois à l’imaginaire du cartographe, aux croyances de l’époque… et au courage inouï des navigateurs qui partaient braver l’inconnu, s‘attendant à voir surgir des océans des monstres plus terrifiants les uns que les autres.
Evolution et enrichissement des globes terrestres
Le XVIème siècle et les suivants voient l’Europe se moderniser à la faveur des explorations, des grandes découvertes, de la renaissance des arts et des sciences. Sous ces influences multiples, le globe s’enrichit, se transforme, devient un objet familier à haute valeur symbolique, que les artistes s’approprient et réinterrogent à la lumière des défis de leur époque. Il se transforme très rapidement en un symbole de puissance, de savoir et de connaissances et devient un élément indispensable des notables, trônant dans leur bibliothèque ou dans les cabinets d’étude.
Ils sont réalisés dans toutes les dimensions, du tout petit globe de poche de quelques centimètres aux grands modèles de près d’un mètre, montés sur piètement de bois posé sur le sol.
Au cours du XVIème siècle, le sud de l’Allemagne devient le centre de la fabrication des globes, suivi par la Hollande, la France et l’Italie qui lui emboîtent le pas. L’Angleterre et l’Amérique les rejoindront au début du XIXème siècle, lorsque les globes terrestres se démocratiseront et deviendront accessibles à la classe moyenne.
Aujourd’hui, produits en masse, ils sont monnaie courante dans les écoles, objets de décor pour les intérieurs, jouets pédagogiques pour les enfants.
De grands créateurs de globes
Les globes hollandais du XVIIème siècle ont été en majorité édités par Willem Van Blaeu (1571-1638). A partir de 1597, ce cartographe fabriquera des globes célestes et terrestres de toutes tailles, qui continueront à être produits pendant presque cent ans.
Entre 1681 et 1683, le moine vénitien Vincenzo Coronelli construit pour Louis XIV deux grands globes peints, de près de 4 mètres de diamètre : le terrestre est daté de 1688 et le céleste de 1693. Tous les deux seront exposés au château de Marly.
En même temps, Guillaume Delisle, membre de l’Académie des sciences et géographe du Roi, édite d’autres globes à partir des nouvelles coordonnées géographiques réunies par les sociétés savantes. Il ne considère pas ses globes et ses cartes comme des œuvres définitives, mais plutôt comme la base de travaux futurs, de cartes à venir, plus détaillées et révisées en fonction de l’avancée des connaissances les plus récentes.
Le globe terrestre contemporain : talent et savoir-faire des facteurs de globes
Aujourd’hui, le globe, image de l’univers terrestre, continue d’inviter au voyage et à l’évasion et à fasciner bon nombre de nos contemporains.
C’est peut- être la raison pour laquelle quelques artisans talentueux ont orienté leur art et leur pratique vers la fabrication de pièces d’exception pour les uns, vers la restauration de globes anciens pour les autres.
A l’origine du globe, une boule
Pour façonner un globe terrestre, il faut tout d’abord une boule, la plus parfaite possible.
A partir d’un gabarit, âme en papier maché recouvert d’une fine couche de plâtre, l’artisan forme un globe en carton qu’il va découper en demi-sphères pour les assembler plus tard et les enduire elles aussi d’une fine couche de plâtre.
Puis vient le collage, cœur du métier de facteur de globes et où se révèle l’immensité de son savoir-faire et de sa patience : L’artisan découpe tout d’abord, et avec une minutie extrême, les 12 indispensables fuseaux cartographiques réalisés au millimètre près, puisque cette technique est la seule permettant de recouvrir le globe, c’est-à-dire de transposer une surface plane sur une sphère.
Puis l’artisan d’art met toute sa dextérité au service du collage de ces fuseaux cartographiques, en évitant bien sûr tout chevauchement qui fausserait le résultat final.
Héritier de méthodes de fabrication qu’il respecte et réhabilite, en même temps que contemporain d’une époque où la technologie est reine, le facteur de globes terrestres adosse son art aux techniques modernes de cartographie, et travaille à partir de données géo- référencées pour réaliser des fuseaux à la pointe des connaissances scientifiques actuelles.
La troisième étape, appelée mise en couleur, est celle qui donne vie aux globes et les rend uniques. Réalisée à l’aquarelle afin de respecter dégradés et ombrages, cette phase du travail donne au globe une patine artistique. Les pigments sont ensuite protégés par plusieurs couches de vernis qui leur permettront de résister aux aléas des utilisations et du temps.
Le globe sera enfin fixé sur un support de bois qui lui servira de socle et en permettra la manipulation.
Restaurateur de globe terrestre, une passion au chevet du passé
Si quelques talentueux facteurs de globes s’emploient à faire revivre les techniques traditionnelles de fabrication des globes terrestres, d’autres artisans d’art orientent leur savoir-faire vers leur restauration.
Qu’il s’agisse de réhabiliter des pièces de petite taille ou de grands formats, le métier de restaurateur de globes regroupe plusieurs métiers en un seul, nécessitant des compétences à la fois artistiques et scientifiques.
Ces fabuleux objets présentent avec le temps des traces d’usure, sont endommagés par l’utilisation qui en a été faite ou par une exposition prolongée à l’air et la lumière, ou affichent, comme autant de cicatrices, d’anciennes réparations.
Le but de la restauration sera donc de stopper des dégradations susceptibles à la fois de s’étendre et de mettre en péril la conservation du globe dans le temps.
Conjointement, le restaurateur s’attachera à rendre au globe, dans une recherche esthétique assumée, un aspect le plus fidèle possible à ce qu’il était lors de sa fabrication.
Une restauration en trois étapes
Dans un premier temps, l’artisan restaurateur va chercher à éliminer les vieilles couches de finition, les salissures de surface et les anciennes réparations dont a pu bénéficier antérieurement le globe.
Lors d’une seconde étape, il comble la surface de la sphère avec du mastic, au niveau de ses lacunes et de ses trous. Puis il recouvre ces zones avec un papier présentant les mêmes propriétés que celui utilisé à l’époque de la fabrication du globe.
Lors de la phase finale, l’artisan reproduit la cartographie et comble des manques repérés sur la surface du globe : il travaille sur l’harmonisation et le réajustement des couleurs, avec comme objectif que les zones restaurées ne soient pas repérables.
Enfin, le support de bois ou de métal qui porte le globe est nettoyé avant d’être recouvert d’une couche protectrice.
Objet d’art en même temps que support scientifique, symbole de savoir et de puissance, le globe terrestre a traversé les siècles avant de se démocratiser.
Les secrets de sa fabrication, enfouis au fil du temps, ont été remis à la lumière par des artisans d’art passionnés, explorateurs de techniques anciennes et découvreurs d’un monde qui semblait à jamais perdu.
Entre leurs mains expertes, et dans le respect des traditions, ces artisans d’exception ont retrouvé le chemin de la fabrication des globes terrestres et célestes, pendant que d’autres artistes, avec minutie et persévérance, restaurent inlassablement ces objets hérités du passé et qui, depuis la fin du Moyen âge accompagnent les envies de voyage, d’évasion et de découverte des Hommes.
Mes sincères remerciements pour leur accueil chaleureux et leurs autorisations à utiliser leurs photographies pour l’illustration de cet article à:
- La Bibliothèque du Patrimoine Hendrik Conscience (Anvers), lieu de collection et de conservation de plus de cinq siècles de patrimoine culturel flamand,
- Yolaine Voltz, conservatrice, conférencière, spécialisée dans la restauration de globes et d’éventails, fondatrice de l’atelier L’Utile Zéphyr,
- Pascal Le Bonhomme, cartographe et artisan d’art en “fabrication d’objets en papier et en carton”, fondateur de la maison Litavis,
- Alain SAUTER, géographe et fondateur de la maison Globe Sauter &Cie.
Pour aller plus loin:
Cartographie de la France et du monde de la Renaissance au Siècle des lumières ; Monique Pelletier; Éditions de la Bibliothèque nationale de France.
https://www.consciencebibliotheek.be/fr/content/les-globes-de-blaeu
https://www.bnf.fr/fr/agenda/le-monde-en-spheres
Merci infiniment pour ce voyage à travers le temps, un vrai bonheur! Ainsi que pour la mise en lumière des artisans d’art sans qui rien ne serait possible…